Faire entrer l’école dans le numérique. C’est le cap de l’Éducation Nationale en ce début du XXIe siècle. Vaste chantier cependant. Enseigner le numérique en cours de français au collège, oui mais lequel ? La question peut sembler saugrenue. Pourtant se la poser permettrait certainement de ne pas s’éparpiller et de clarifier les objectifs. S’agit-il de faire de nos élèves des usagers d’applications numériques ou de les rendre autonomes par la maîtrise de l’outil informatique ?
1. Le numérique ludique comme vecteur de motivation
Récemment, j’ai diffusé en classe un extrait d’un péplum des années 1960. J’ai ensuite demandé aux élèves ce qu’ils en pensaient. Je m’attendais à lancer un débat sur le contenu. Ma surprise fut grande de constater que leurs remarques n’ont porté que sur la qualité de l’image,sa faible définition et le montage quelque peu ringard ! Et pourtant, cela n’a en réalité rien d’étonnant pour une génération de l’image, de Youtube même, habituée à porter son regard sur des vidéos de plus en plus léchées.
Mes élèves n’ont pas réussi à entrer dans mon activité car ils ont vécu la désuétude du support comme un obstacle.
Utiliser le numérique en classe, c’est donc se connecter à nos élèves et leur faciliter l’accès à la culture que nous voulons transmettre. Cela permet de les motiver car on atténue ainsi l’empreinte du temps. La culture des Anciens leur semble alors plus proches d’eux et on peut plus facilement faire ressortir son message universel.
2. La plus-value des TICE : la différenciation pédagogique
Mais les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement) ne sont pas qu’un support. Elles apportent à notre enseignement une plus-value en ouvrant de nouvelles perspectives.
Utiliser le numérique en classe permet notamment une plus grande différenciation pédagogique. En utilisant un système de ceintures de compétences en cours de français, ou plus sobrement des groupes de niveau, il peut être particulièrement intéressant de proposer des exercices différents aux élèves selon leurs besoins.
Ainsi, vous pouvez enregistrer des dictées d’entraînement et les mettre en ligne sur le site de votre collège.
Organisez ensuite une séance en salle informatique et attribuez une dictée différente à chaque groupe. Munis de leurs casques audio, vos élèves feront leur dictée en autonomie. Ils pourront en outre avancer à leur rythme dans la lecture du fichier. Vous pouvez même envisager de mettre à leur disposition le corrigé au format pdf.
3. Le jeu vidéo, un mode d’apprentissage
A moins d’être un ermite reclus dans sa grotte, il ne vous aura pas échappé que le jeu est à la mode, notamment sous l’impulsion des adultes de la génération Y.
Les serious game se développent, y compris dans les entreprises qui n’hésitent plus à utiliser ce médium pour proposer des formations internes à leurs employés. La démocratisation des casques de réalité augmentée ou virtuelle devrait accélérer le phénomène. Nul doute que ce nouvel outil trouvera sa place dans nos classes.
Le serious game est un jeu vidéo à but didactique. Le joueur, à travers son personnage, évolue dans un univers prédéfini qui le confronte à diverses situations. Il est récompensé quand il fait les bons choix. Au contraire, les mauvaises décisions débouchent sur des impasses qui lui font prendre conscience de ses erreurs. A la fin d’un module, le joueur reçoit des explications.
Malheureusement, il existe peu de serious games adaptés pour l’enseignement du français au collège. Ils sont pourtant nombreux pour l’histoire ou les disciplines scientifiques. Si vous voulez tout de même essayer un serious game, vous pouvez jouer à Datak. Ce jeu en ligne traite de la protection des données personnelles sur internet.
4. Le piège de la mode éphémère et du consumérisme
L’usage du numérique, comme toute pratique pédagogique, doit être raisonné et soumis à la critique.
On voit se diffuser dans les classes l’usage d’outils développés par des firmes dont on peut questionner l’éthique. Avant d’utiliser une application en classe, il est bon de se renseigner sur la propriété intellectuelle des travaux produits et sur la collecte de données que la plateforme opère. A part dans le monde du libre collaboratif et de l’open-source, on peut partir du principe que rien n’est gratuit. Si une entreprise propose un service librement accessible à vos élèves, c’est qu’elle en tire un bénéfice. Cherchez lequel.
Par exemple, l’application Plickers permet à l’enseignant d’organiser des QCM et de récolter les réponses de ses élèves directement sur son smartphone. C’est très pratique et cela offre un gain de temps considérable en vous déchargeant de la correction. Il est cependant fortement recommandé de ne pas entrer le nom de famille de vos élèves dans l’application afin de ne pas vous mettre dans l’illégalité. Après tout, vous ne savez pas comment sont ensuite exploitées ces données personnelles que vous fournissez à l’entreprise.
De même, de nombreuses applications, qui permettent la création de contenu web, s’approprient en réalité le travail de vos élèves. Ils peuvent apposer leur logo sur ce travail, l’exploiter commercialement ou le rendre uniquement accessible sur leur plateforme.
Par ailleurs, on peut interroger le caractère pédagogique de ces applications mainstream. Elles rendent la création plus facile en dispensant les élèves d’apprendre à se servir réellement des outils informatiques. Or, sans ce savoir, les élèves se retrouvent piégés par le consumérisme. Sans autonomie, ils n’ont d’autre choix que de continuer à faire appel à ces services, quelle que soit la politique commerciale menée.
5. Le numérique, un outil de travail
Il est par ailleurs intéressant de noter que le numérique devient de plus en plus un outil de loisir alors qu’il était au départ destiné au travail.
De plus en plus d’élèves utilisent les smartphones et les tablettes au détriment des ordinateurs.
Pourtant, cela ne fait aucun doute, la plupart de nos élèves devront travailler plus tard sur un ordinateur et en maîtriser, du moins partiellement, l’usage.
6. Faire découvrir les métiers numériques de demain
Dans le cadre du parcours Avenir, j’ai donc décidé de présenter à mes élèves des métiers du numérique. J’ai voulu leur montrer que le cours de français était bien connecté au monde de demain. Par ailleurs, je voulais qu’ils prennent conscience que l’informatique demande rigueur et minutie.
La rédaction web en cours de français
Les élèves, comme nous, n’aiment pas travailler pour rien. Et souvent, la seule motivation que nous leur donnons est la note qu’ils obtiendront. Cependant, certains élèves ont tellement l’habitude d’avoir de mauvais résultats que cette seule motivation est inefficace.
Rendre public leur travail permet de changer de paradigme. L’enjeu n’est plus la note mais le regard que les autres vont porter sur leur production. L’enjeu est plus stimulant et les élèves se sentent investis d’un challenge valorisant.
Dans le cadre d’une séquence sur l’île des esclaves de Marivaux, j’ai donc proposé à mes élèves de quatrième de produire des exposés sous la forme d’articles destinés au blog du collège. Le but était en outre de leur faire découvrir le métier de rédacteur web.
Au collège, on travaille l’expression écrite dans une optique littéraire. Pourtant, la plupart de nos élèves n’écriront jamais un roman. Ils auront certainement davantage besoin de créer un contenu pour le web bien référencé sur les moteurs de recherche.
J’ai donc lancé cette activité en leur expliquant les bases du SEO, c’est-à-dire les principes à suivre pour séduire les robots de Google. Nous avons analysé les résultats d’une requête lancée sur ce moteur de recherche.
Cela nous a permis d’aborder la question des champs lexicaux et des synonymes.
Nous avons ensuite appris à structurer un texte en formant des paragraphes et en organisant l’ensemble avec des intertitres.
Enfin, je leur ai fait découvrir des banques d’images libres de droit.
Enseigner le design visuel au collège
Les webdesigners se chargent de tâches très diverses et ont donc de multiples compétences. On peut en travailler certaines en classe et sans ordinateur !
Ainsi, j’ai profité de notre participation au Prix des incorruptibles pour initier mes élèves au design visuel. En début d’année, avant de leur distribuer le premier livre qu’ils liraient, nous avons travaillé sur les premières de couvertures.
Nous avons notamment interrogé le choix des couleurs et des typographies. Nous en avons tiré des renseignements sur le genre de chaque roman et le public visé.
Les élèves étaient répartis en équipe. Chaque groupe a travaillé sur un livre en particulier et a ensuite présenté aux autres ses hypothèses. C’est fou tout ce qu’on peut déduire d’une couverture ! Je n’ai pas raconté l’histoire et je n’ai rien ajouté. Ils sont ensuite repartis chacun avec un livre. Et je n’ai pas eu à les supplier !
Les élèves en ont retenu qu’ils devaient être plus attentifs aux images qui les entouraient et que rien n’était laissé au hasard. Ils ont compris que le design et plus particulièrement les chartes graphiques permettaient de renforcer une communication. Grâce à la symbolique des couleurs et des typographies, ils ont appris à décrypter un message implicite.
Écrire avec le langage HTML
Lors d’une séquence consacrée à la poésie lyrique, j’ai demandé aux élèves d’écrire de courts poèmes.
Nous avons ensuite utilisé leurs écrits pour découvrir le langage HTML. J’ai commencé le cours en leur montrant le code source de la page d’accueil du site du collège.
Puis, je les ai accompagnés pas à pas dans la mise en forme de leurs poèmes. Nous avons utilisé des balises simples : insérer des titres H1 et H2, faire un paragraphe ou un retour à la ligne, mettre en gras, en italique…
Effet assuré ! Ils se sont pris pour de vrais geeks et certains se sont crus dans Matrix !
Ils ont par ailleurs réalisé que le langage HTML requiert beaucoup de rigueur. L’erreur ne pardonne pas. Si on ne fait pas très attention, on ne peut pas obtenir le résultat escompté…
7. Trouver le temps grâce à la pédagogie de projet
Travailler le numérique plutôt qu’avec le numérique. C’est donc mon parti-pris mais tout cela est très chronophage.
Aussi, j’essaye d’intégrer cette pratique du numérique à des projets qui courent tout au long d’une séquence.
Par exemple, ma séquence sur la nouvelle réaliste a débouché sur un travail d’écriture longue. Les élèves, répartis en groupes, ont dû écrire leur propre nouvelle.
Cette activité leur a permis d’apprendre à se servir d’un logiciel de traitement de texte. Je leur ai montré comment faire une présentation propre en utilisant les bonnes fonctionnalités de ce type de logiciel.
Mathieu
Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.