Les programmes du collège recommandent qu’au cours d’une année scolaire les élèves étudient 3 groupements de textes, 3 œuvres littéraires et 3 autres en lectures cursives, c’est-à-dire seuls et chez eux. Pour préparer vos cours, vous pouvez vous appuyer sur la méthode que je vous ai présentée dans un précédent article et que je vous invite à relire : comment construire une séquence pédagogique ? L’étude d’une œuvre intégrale en classe est un moment particulier dans l’année car les élèves vont devoir travailler pendant plusieurs semaines sur un même livre et par conséquent sur des textes relativement similaires. La motivation peut donc rapidement s’émousser.
1. Choisir les œuvres intégrales étudiées pendant l’année
Lorsque vous bâtissez votre progression annuelle, vous devez choisir les œuvres intégrales que vous étudierez en classe. Pour prendre une décision, vous pouvez commencer par vous appuyer sur les programmes de français. Ceux-ci donnent des orientations assez précises. Ils invitent parfois explicitement les enseignants à aborder certains thèmes à travers le prisme d’une lecture intégrale. D’autres thèmes nécessitent une variété d’exemples littéraires. On privilégiera alors le recours au groupement de textes.
Pensez à varier les genres littéraires. Ainsi, envisagez une lecture courte comme un conte ou une nouvelle, l’étude d’un roman et enfin la découverte d’une pièce de théâtre.
Il existe une multitude de possibilités quant au choix des titres étudiés. A vous de prendre une décision en fonction de vos affinités littéraires. Choisissez des œuvres que vous appréciez. Plus vous aimez un livre et plus vous serez en position de force pour communiquer votre enthousiasme aux élèves.
Attention toutefois… Il y a de grands risques que les élèves ne partagent pas votre passion pour votre livre préféré. Il faut y être préparé. Les remarques des élèves peuvent parfois être cruelles. Êtes-vous prêts à les entendre dénigrer ce livre qui vous a tant plu ? Si ce n’est pas le cas, mieux vaut en choisir un autre.
2. Désacraliser la littérature !
Vous avez peut-être choisi d’enseigner les lettres parce que la littérature est votre passion. Néanmoins, il faut avoir en tête qu’il s’agit bien de votre passion et qu’ils ne la partagent pas nécessairement. Votre mission n’est pas de créer des rats de bibliothèque. Vous devez uniquement transmettre une culture littéraire et humaniste. Vous ne pouvez contraindre les autres à aimer les livres.
Dans certaines classes, vous aurez peu d’élèves lecteurs. Cela arrive fréquemment dans les classes de quatrième et troisième. Ne vous en offusquez pas, c’est tout à fait normal. L’adolescence passe par là et nos élèves ont à cet âge bien d’autres préoccupations que la littérature ! Il arrive même que des lecteurs cessent de lire ou lisent moins qu’avant pendant quelques années avant de retrouver leur goût pour les livres.
Lors des réunions parents-professeurs, je rencontre souvent des parents qui s’alarment du fait que leurs enfants ne lisent pas suffisamment. J’essaie toujours de dédramatiser la situation. Premièrement, même s’ils délaissent parfois complètement les livres, la plupart des adolescents lisent beaucoup sur le web. D’autre part, j’interroge toujours ces parents anxieux sur leur propre rapport aux livres. Certains avouent alors qu’en effet ils ne lisent pas eux-mêmes et n’aiment pas ça. Or, les enfants imitent les adultes qu’ils côtoient. Si la lecture ne fait pas partie de la culture familiale, il n’y a rien d’étonnant à voir les enfants s’en détourner.
3. Ouvrir d’autres portes d’entrée
L’enseignement du français recouvre d’autres champs que celui de la littérature. Il y a d’autres moyens d’accrocher les élèves à notre discipline. Si vous voulez intéresser un maximum d’élèves à votre cours, il est primordial d’ouvrir votre conception du cours de français à des activités variées d’utilisation de la langue.
Tout d’abord, la linguistique et la grammaire peuvent séduire les adeptes des langues et les esprits scientifiques.
D’autre part, on néglige trop un autre débouché des études de lettres : la communication. Pourtant, dans notre société de consommation, ce secteur est en plein essor. On communique partout, tout le temps, sur tous les supports.
Si certains n’aiment pas lire, ils apprécieront sans doute les activités d’argumentation, l’élaboration d’affiches et de slides ou bien encore l’initiation à la recherche documentaire. Intégrez-les donc à votre séquence d’étude d’une œuvre intégrale.
4. Motiver les élèves à lire une œuvre intégrale
Optimisez les chances que vos élèves aient lu le livre que vous proposez. Il est important de leur accorder du temps pour le lire. Ainsi, il est intéressant de placer vos séquences d’étude d’une œuvre intégrale après une période de vacances scolaires. Vos élèves seront plus disponibles pour lire. Prévenez-les une à deux semaines avant les vacances, pour qu’ils aient le temps de se procurer l’ouvrage demandé, et demandez-leur de le lire pour la reprise des cours.
Avant les vacances, organisez une séance de lancement pour susciter l’envie de lire l’œuvre. L’objectif est d’attiser la curiosité des élèves. Plusieurs activités sont envisageables.
On peut tout d’abord proposer une lecture analytique d’un passage-clé de l’intrigue. Il faut alors choisir un passage qui ne dévoile que le thème mais laisse planer de nombreuses zones d’ombre. Le message de l’auteur doit pouvoir être interrogé sans être totalement limpide. L’étude de l’incipit peut aussi être un point de départ intéressant. On y repérera les bases de l’intrigue : qui ? quand ? où ? quoi ? comment ? On laissera les élèves émettre des hypothèses de lecture. On jouera avec le suspense en alimentant le teasing : « je ne vais pas vous le dire, il faut le lire si vous voulez savoir… »
L’étude de la première de couverture est aussi une porte d’entrée souvent judicieuse. S’il en existe plusieurs versions, il peut être intéressant de les comparer. On demandera aux élèves de s’intéresser aux différents éléments qui la compose. La typographie utilisée est-elle particulière ? Quelles sont les couleurs dominantes ? Si elles sont analogues, qu’évoquent-elles ? Si elles sont complémentaires, que mettent-elles en valeur ? Que représente l’illustration ? Que suggère la phrase d’accroche s’il y en a une ?
On peut également aborder l’étude d’une œuvre intégrale en proposant aux élèves la lecture d’un dossier documentaire. Il s’agit alors de découvrir un auteur particulièrement emblématique et romanesque, un thème stimulant ou une époque particulière.
5. Utiliser la réception de l’œuvre par la classe
Les vacances sont passées, c’est l’heure de vérité. Commencez votre séquence en recueillant l’expérience de lecture de vos élèves. Lancez le débat en posant des questions simples :
- Qu’avez-vous pensé de ce livre ?
- Qui l’a lu en entier ? Avez-vous aimé ce livre ? Oui, non, pourquoi ?
- Parmi vous certains n’ont peut-être pas réussi à le lire en entier, qui est dans cette situation ? Pourquoi n’êtes-vous pas allé au bout de la lecture ?
Construisez votre problématique en classe en vous appuyant sur les divergences de compréhension ou d’interprétation.
Soyez bienveillants vis-à-vis de ceux qui n’ont pas tout lu. Vous-mêmes, ne vous est-il jamais arrivé de rencontrer un livre qui vous tombait des mains ? Poussez vos élèves à expliciter les difficultés qu’ils ont rencontrées. Montrez-vous compréhensifs et ne les jugez-pas.
Au contraire, utilisez ces expériences négatives.
Si le thème n’a pas plu, c’est l’occasion de lancer un débat dans la classe.
Lorsque l’intrigue a été perçue comme trop complexe, profitez-en pour lancer une séance consacrée au résumé, plus ou moins détaillé, de l’œuvre ou à la construction d’une carte heuristique centrée sur les personnages et leurs relations.
Quand la langue était trop difficile, proposez la construction d’une fiche de lexique au fur et à mesure de la séquence. Dans le cas d’une comédie classique, on peut même faire de cette difficulté une problématique de séquence : peut-on encore rire d’une pièce écrite il y a 400 ans ? Vous montrerez aux élèves que si la langue a évolué, les procédés comiques sont restés les mêmes aujourd’hui.
6. Pour ou contre le questionnaire de lecture ?
L’évaluation de la lecture d’une œuvre intégrale est une pratique courante mais pas obligatoire. Il est tout à fait possible de s’en passer. En réalité, la lecture de résumés sur le web permet souvent d’obtenir de bons résultats à ce test. Il arrive aussi, malheureusement, que certains élèves aient fait l’effort de lire l’œuvre sans en saisir ou en retenir l’intrigue, c’est par exemple le cas des élèves dyslexiques.
Si vous choisissez toutefois d’y recourir, évitez le QCM. Au contraire, privilégiez des questions ouvertes qui invitent les élèves à développer leurs réponses :
- Quel est votre personnage préféré ? Pourquoi ?
- Que pensez-vous du message de l’auteur ?
- Comment auriez-vous réagi à la place de tel personnage ?
- Quel est votre passage préféré ? Pourquoi ?
Vous pouvez également envisager de placer votre questionnaire de lecture en fin de séquence plutôt qu’au début. Ainsi, vous aurez donné des clés de lecture aux élèves, y compris à ceux pour lesquels l’acte de lire un livre en entier est trop complexe.
Cela vous permettra d’évaluer si vous avez atteint l’objectif réel de l’étude d’une œuvre intégrale : faire connaître une œuvre littéraire et son contenu aux élèves.
Mathieu
Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.