Au XVIIe siècle, l’ecclésiastique et pédagogue Jean-Baptiste de La Salle s’est consacré à l’éducation des enfants issus des classes populaires. Il prit vite conscience que pour mener à bien sa mission il devait repenser l’école en la structurant. En effet, pour éduquer le plus grand nombre d’élèves, il fallait répondre à un impératif d’organisation. Ainsi, il eut l’idée de regrouper les élèves du même âge pour leur proposer un enseignement simultané : le groupe-classe, encore en vigueur aujourd’hui, était né. Dans un même souci d’organisation, il créa un modèle pédagogique qui reposait sur l’obéissance disciplinée des élèves aux maîtres et sur la primauté du travail écrit. Nous sommes d’ailleurs les héritiers de ce système pédagogique. Pourtant, au XXe siècle, les défenseurs de l’Éducation Nouvelle, et notamment les membres du mouvement de l’École Moderne de Célestin Freinet, ont dénoncé ces « écoles casernes » centrées sur une figure magistrale autoritaire et dans lesquelles les échanges entre pairs sont illégitimes, voire interdits. Mais au sein de ce mouvement, dans les années 1960, Fernand Oury repose la question de l’organisation de la classe et crée la pédagogie institutionnelle. Pour lui, la socio-construction et le travail coopératif sont nécessaires mais insuffisants. Inspiré par la psychanalyse, il veut une école qui offre la possibilité à chacun de s’exprimer et de trouver sa place. Cela doit passer par l’adhésion de tous à des règles communes, nommées « institutions ». L’école devient lieu d’apprentissage de la démocratie et du respect d’autrui. La parole y prend une place importante car elle doit permettre à chacun d’exister en régulant les conflits.
1. Responsabiliser les élèves
Pour que l’élève se sente appartenir à un groupe et s’y investisse, il doit sentir qu’il a un rôle à jouer dans la classe. Ainsi, dans le cadre d’une pédagogie institutionnelle, chaque élève est responsabilisé. On lui confie des tâches, parfois appelées « métiers » : ouvrir et fermer les stores, distribuer les manuels ou les photocopies, écrire la date au tableau, préparer une phrase du jour pour l’analyse grammaticale, effacer le tableau, arroser les plantes, inscrire les volontaires pour la prochaine séance d’exposés…
L’élève ne se voit pas confier une tâche parce qu’il a levé le doigt mais parce que c’est son tour. Un planning doit donc être établi, si possible par les élèves eux-mêmes, pour mettre en place un roulement des responsabilités. Tous doivent prendre en charge, à un moment ou à un autre de l’année, des tâches nécessaires à la vie de la classe.
2. Le conseil coopératif
Faire entrer la démocratie dans la classe
Par ailleurs, lorsqu’un problème survient, il est exposé au conseil coopératif. Les élèves doivent ensuite débattre, écouter la parole de l’autre et son ressenti, proposer des solutions et enfin prendre une décision. Le vote permet alors un engagement personnel de chacun. Les élèves sont amenés à se positionner individuellement, si ce n’est même en leur for intérieur. Ils réfléchissent à leur propre comportement, notamment lorsque les questions du bavardage et de l’incivilité sont abordées.
Les modalités d’organisation d’un conseil coopératif ont déjà été exposées sur ce blog et nous n’allons pas y revenir. Mais je vous invite à lire cet article qui vous explique comment transformer votre heure de vie de classe en conseil d’élèves.
L’intérêt du conseil coopératif est de souder un groupe autour d’un contrat social co-construit. Les règles votées dans le cadre de ce conseil sont légitimes car elles émanent d’un besoin exprimé et d’une réponse apportée par le groupe.
Entraver les influences autoritaires
Pour que le conseil coopératif joue pleinement son rôle pédagogique et se révèle efficace, il est important que l’enseignant en respecte les règles. S’il ne doit pas se soumettre aux propositions parfois farfelues ou hors de propos des élèves, il doit cependant s’efforcer de se montrer attentif aux demandes de la classe. Il peut négocier un compromis, proposer une solution alternative… L’essentiel est de manifester qu’on est à l’écoute des besoins exprimés par les élèves. Mais l’enseignant doit aussi veiller à s’effacer et à ne pas prendre la parole en premier. En effet, certains élèves, moulés par le système éducatif, seraient alors tentés de dire ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux au lieu d’exprimer leur avis personnel.
Par ailleurs, le conseil coopératif peut être mis à mal par des élèves qui jouent le rôle de leaders au sein de la classe. Leur assentiment est alors recherché par les autres. On les regarde et leur parole peut parfois faire basculer un vote. C’est un des biais les plus difficiles à endiguer, surtout dans les petits établissements où les élèves se connaissent parfois depuis l’école maternelle. Aussi, il est important de mettre en place le conseil coopératif dès le début de l’année, avant que les rôles ne se figent. On peut aussi recourir au vote à bulletin secret, placer les élèves en rang plutôt qu’en cercle, organiser une réflexion préalable en petits groupes et faire remonter les arguments en utilisant la technique Phillips 6.6…
3. Les ceintures de compétences
Passionné par le judo, Fernand Oury s’en inspire pour organiser sa classe à l’aide d’un système de ceintures. Bien sûr, il ne s’agit pas de mettre de vraies ceintures colorées à la taille des élèves. On peut utiliser un tableau d’affichage placé sur un mur de la classe ou, si on souhaite préserver une certaine intimité, se servir d’un passeport de compétences.
Dans la pédagogie institutionnelle, il existe des ceintures de comportement et des ceintures de compétences. Pour obtenir une ceinture, l’élève doit atteindre des objectifs progressifs et fixés préalablement.
Les ceintures de comportement
Les ceintures de comportement offrent aux élèves de nouveaux privilèges : pouvoir se déplacer dans la salle, effectuer des tâches importantes comme présider le conseil coopératif, accompagner les élèves qui vont aux toilettes ou à l’infirmerie… Il s’agit de montrer aux élèves que plus ils font preuve de maturité, plus vous leur faites confiance en leur donnant davantage d’autonomie.
Attention cependant à ne pas noter ces ceintures-là. L’enseignant n’est pas censé attribuer des notes de comportement qui influeraient sur la moyenne de l’élève. Celle-ci doit uniquement être le reflet de son niveau scolaire et de son acquisition des compétences du socle commun.
Les ceintures de compétences
Les ceintures de compétences, quant à elles, s’obtiennent en passant des « brevets » qui sont en fait des évaluations sommatives. Un brevet évalue l’ensemble des compétences de la ceinture et il faut avoir un résultat satisfaisant dans chacun des items pour l’obtenir.
Le système des ceintures de compétences peut générer de la motivation car il permet aux élèves de n’être évalués que sur des compétences qui sont à leur portée. Chacun progresse à son rythme et obtient une récompense lorsqu’il a atteint ses propres objectifs.
Par ailleurs, les ceintures de compétences facilitent la différenciation pédagogique, le tutorat entre pairs et la mise en place d’une remédiation adaptée aux besoins de chacun.
L’idéal est de pouvoir permettre aux élèves de solliciter le passage d’un brevet quand ils le souhaitent. On peut par exemple dédier une heure hebdomadaire au travail en autonomie à l’aide de fichiers auto-correctifs qui permettent de préparer les différentes ceintures. Au cours de ces séances, les élèves qui le souhaitent peuvent passer leurs brevets. Pour être certain d’avoir une note à inscrire dans le bulletin trimestriel, l’enseignant peut exiger que chaque élève passe au moins un brevet par trimestre dans chacun des domaines de compétences.
Mathieu
Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.