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Les Fourberies de Scapin est une des comédies de Molière les plus étudiées en classe de cinquième. On pourrait même dire qu’elle est presque devenue un incontournable de la culture scolaire, comme Le médecin malgré lui pour la classe de sixième. Et, même si les années passent, je dois avouer que le facétieux Scapin m’amuse toujours autant ! La lecture, intégrale de préférence, de cette comédie du XVIIe siècle s’inscrit dans l’objet d’étude « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Le programme recommande de proposer aux élèves la lecture de textes dramatiques qui mettent en scène une tension et la complexité des relations entre les personnages. Or, toute la pièce repose sur des tensions qui s’enracinent dans le secret et le mensonge. Par ailleurs, Scapin irrite autant ses maîtres qu’ils ont besoin de lui. Les jeunes premiers font de lui leur complice pour duper des pères qui manquent cruellement de modernité. Tel un équilibriste, tout au long de la pièce, l’audacieux valet se joue des autres, gérant tous les problèmes à la fois et trouvant même le temps de régler ses comptes. Il a tout pour lui : le charme, l’intelligence, le verbe et l’esprit. Alors, tout lui est pardonné, même quand il outrepasse les limites.

1. L’intrigue de la pièce : un topos de la comédie antique

Les Fourberies de Scapin est une démonstration de l’innutrition. En effet, le dramaturge a su convoquer toute sa culture théâtrale pour créer un véritable chef-d’œuvre de la comédie classique.

Tout d’abord, l’intrigue de la pièce reprend un topos du théâtre antique : la reconnaissance d’une jeune fille enlevée dans son enfance. Par exemple, dans Rudens (« Le cordage ») de Plaute, une jeune fille enlevée à sa famille quand elle était enfant est reconnue par son père grâce à une cassette qui contenait ses jouets. De même, à la scène 11 de l’acte III, Zerbinette est identifiée par Argante comme étant sa fille grâce à un bracelet qu’elle portait lors de son enlèvement.

Mais l’intrigue des Fourberies de Scapin s’inspire bien plus de la comédie latine de Térence intitulée Phormion. Dans cette pièce antique, Démiphon part en voyage et son fils, Antiphon, en profite pour épouser une orpheline. À son retour, Démiphon paie Phormion pour qu’il défasse ce mariage. En effet, il souhaite que son fils épouse Phanium, la fille cachée que son frère Chrémès a eu de sa seconde épouse. Or, il se trouve que la jeune orpheline est en réalité la fameuse Phanium ! Par ailleurs, Phormion utilise l’argent de Démiphon pour permettre à Phédria, le fils que Chrémès a eu de son premier mariage, d’acheter une esclave dont il est amoureux…

Il semble évident que Hyacinte est Phanium et qu’Octave est Antiphon ! Léandre est Phédria, tout comme Scapin reprend le rôle de Phormion. Quant à Géronte, il est bien entendu Chrémès…

En effet, à la fin de la scène 6 de l’acte III, nous apprenons que sa fille de Tarente était cachée car issue d’un second mariage. Finalement, dans la scène 7, la vérité éclate et, grâce à l’intervention de la nourrice Nérine, nous découvrons que Hyacinte est en fait la fille de Géronte !

2. La force comique des Fourberies de Scapin

Molière fréquenta les comédiens italiens et son œuvre est fortement imprégnée de ses relations avec la commedia dell’arte.

Ainsi, les personnages des Fourberies de Scapin sont codifiés. Scapin est évidemment la version française du valet Scappino, fourbe et insouciant. Octave et Hyacinte incarnent parfaitement le rôle du jeune couple ingénu. Le personnage de Géronte est quant à lui fortement inspiré de Pantalon. Il est au cœur du comique de caractère. Bourgeois avare, crédule et lâche, les occasions de rire de lui se multiplient tout au long de la pièce.

Par ailleurs, Molière a emprunté des ressorts comiques de la commedia dell’arte : le comique de situation d’une part, notamment avec le quiproquo, et le comique de gestes d’autre part. Il y avait en effet chez les comédiens italiens un jeu de scène parfois quasi acrobatique. Or, la vivacité du personnage de Scapin autorise ce type de mise en scène, par exemple pour interpréter la fameuse scène du sac.

Dans cette même scène, le dramaturge convoque aussi le caractère subversif de la farce : le bourgeois Géronte est ridiculisé par un valet qui le trompe et le frappe. Or, la tromperie est également un topos de la farce, et le titre même de la pièce met en avant ce thème. Notons au passage que si dans la scène 1 de l’acte I le valet Sylvestre craint d’être puni par Argante, c’est finalement le maître Géronte qui reçoit finalement les coups de bâton.

Enfin, Molière a doublé l’intrigue. Il n’y a pas un couple d’amoureux à secourir mais deux. Ainsi, Scapin doit tromper deux pères. L’utilisation d’un comique de répétition résulte de ce choix dramatique.

3. Le théâtre dans le théâtre

Cet hommage à la comédie est d’autant plus fort que le personnage de Scapin est un véritable comédien. Comme une mise en abyme subtile, Molière a inclus le théâtre dans le théâtre. Scapin flatte, manipule et raconte des histoires à Géronte et Argante. Sûr de lui, il enchaîne les répliques sans donner l’impression d’improviser.

L’acmé de ce jeu survient là encore dans la scène centrale du sac. Scapin contrefait sa voix et adopte l’accent gascon. Dans de longues tirades, il se livre à un dialogue avec lui-même, jouant tous les rôles à la fois, sautant, frappant, se roulant à terre…

4. Derrière le rire, un questionnement sur la famille

Mais le comique ne se suffit pas à lui-même dans les pièces de Molière. Le dramaturge nous propose des intrigues et des personnages plus complexes que ce qu’ils peuvent laisser paraître. Ainsi, la lecture des Fourberies de Scapin nous invite à la réflexion.

Dès la scène d’exposition, Molière soulève le problème de la relation père-fils qu’il illustre ensuite à travers la situation de deux familles. On retrouve des traits similaires : le non-dit et l’absence de complicité. En effet, Octave et Léandre ne communiquent pas directement avec leurs pères. Ils utilisent Scapin comme intermédiaire pour ne pas se confronter à la colère paternelle.

Ils cachent leurs amours mais les partagent l’un avec l’autre, comme on l’apprend dans la scène 2 de l’acte I : « Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour ». La complicité se trouve donc davantage dans l’amitié que dans la famille. Il en va d’ailleurs de même pour leurs pères. En effet, c’est d’abord à Argante que Géronte confie son secret, avant même la révélation de Nérine.

Le secret et le mensonge font donc partie de la vie familiale. La famille est d’ailleurs vécue comme une contrainte. Géronte le reconnaît dans la scène 6 de l’acte III : « des intérêts de famille m’ont obligé jusques ici à tenir fort secret ce second mariage ».

Si les fils redoutent autant leurs pères, c’est sans doute finalement parce qu’ils ne les connaissent pas réellement et que ceux-ci s’obstinent à faire respecter la bienséance et les règles sociales. Molière introduit en effet la thématique du mariage arrangé dont les fils veulent s’affranchir. Les pères incarnent une tradition rigide face à des fils qui appellent plus de modernité.

Mais cette opposition générationnelle n’est pas si profonde. On le comprend en apprenant la double-vie de Géronte. Ce bourgeois respectable à Naples s’est marié une seconde fois et a fondé une autre famille à Tarente. On imagine que cette seconde famille est celle du cœur… Géronte témoigne d’ailleurs de cet amour dans la scène 9 de l’acte III : « Ma joie aurait été parfaite, si j’avais pu voir votre mère avec vous. »

Le ridicule Géronte devient alors un veuf attristé, capable de susciter notre compassion.

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.