La ville, lieu de tous les possibles ? C’est le questionnement complémentaire que propose le programme de français pour l’année de 4ème. On peut être dubitatif face à cette problématique, surtout lorsqu’on enseigne dans un collège rural et que ses élèves n’ont pas l’expérience de la vie en ville. Pourtant, ce thème offre plusieurs entrées croisées avec les autres objets d’étude du programme, notamment celui intitulé « la fiction pour interroger le réel ». On trouvera en effet dans le roman réaliste ou naturaliste diverses manières d’aborder la représentation littéraire de la ville : la figure du parvenu, provincial qui gagne la capitale pour « réussir », ou bien les mutations de la ville avec, par exemple, l’apparition des grands magasins… Mais le programme offre aussi la possibilité d’étudier le milieu urbain en tant qu’objet poétique. Il s’agit alors de montrer les ambivalences de la représentation poétique de la ville. Au gré de l’Histoire, elle est en effet tantôt blâmée, tantôt louée.
1. Opposition de la ville et de la campagne
Dès l’Antiquité, les poètes latins se sont emparés du thème de la ville. La vie urbaine est alors souvent critiquée pour ses excès, son agitation et ses dangers. Avec les Élégies de Tibulle, la vie en ville est rejetée au profit d’une vie rurale simple et épanouissante. La campagne est le lieu où le lyrisme des poètes élégiaques peut s’exprimer, loin des contraintes imposées aux citoyens romains sous le règne d’Auguste. L’Empereur entend en effet restaurer un ordre moral. Ce retour de la virtus s’accompagne d’une valorisation de la quête des richesses et de la gloire militaire. Au contraire, hippie avant l’heure, le poète élégiaque, lui, prône la paix et l’amour. Il se tient donc à l’écart des villes.
Au XVIIe siècle, vivre en ville, c’est accepter de se soumettre au jeu, parfois dangereux, de la société. Les autres, par leur ambition ou leurs actions, peuvent vous nuire. La Fontaine, dans ses Fables, nous met d’ailleurs en garde : le confort de la cour a un prix, celui de la liberté et de la tranquillité. Le Rat des champs ne s’y trompe pas et préfère renoncer aux festins de rois.
Loin de la ville, la vie est plus paisible. Qui voudrait subir les embarras de la vie parisienne que Boileau décrit, non sans humour, en peignant une ville aussi bruyante et encombrée que dangereuse ? Se promener dans les rues, au milieu des chantiers qui foisonnent, relève d’un véritable parcours du combattant. Et si on n’est pas arrivé à destination, on est encore heureux d’être toujours en vie…
2. La ville, écho de la modernité poétique
Avec le romantisme, le lyrisme s’ancre dans la nature. Les paysages se font les reflets des émotions et sentiments du poète.
Mais à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous le Second Empire notamment, la ville évolue et se transforme sous l’impulsion de la révolution industrielle et des travaux haussmanniens. Ces mutations urbaines inspirent les artistes. Ainsi, l’impressionniste Monet, connu pour ses scènes et paysages ruraux, peint une série de tableaux qui ont pour objet la gare Saint-Lazare. Plus réaliste, le tableau intitulé Le Pont de l’Europe, peint par Gustave Caillebotte, illustre également cet intérêt pour la représentation d’une vie urbaine moderne.
Face aux campagnes abandonnées, la ville incarne l’espoir, le progrès et la modernité. L’exode rural fait grossir les villes, où les classes sociales se côtoient.
Le poète erre dans la ville. Il la sublime jusque dans ses faubourgs miséreux. La pauvreté, le travail, les fumées des usines et l’activité industrielle deviennent des sources d’inspiration et trouvent leur place dans la création poétique. Le poète va chercher la beauté partout, comme Baudelaire dans son poème des Fleurs du mal intitulé « Le Soleil ».
Le lyrisme se fait plus introspectif et se passe de la nature. L’inspiration est partout : au détour d’une rue le poète peut rencontrer une muse qui déjà s’éloigne d’un pas pressé. De cette rencontre manquée ne resteront que des vers.
La ville se transforme et se modernise, tout comme la poésie. Les règles de la versification évoluent et volent parfois en éclats. Ainsi, la ville prend vie dans les poèmes en prose, ceux d’Arthur Rimbaud notamment.
3. La vie en ville : une question polémique
Mais cette ville fantasmée ne serait-elle qu’illusion ? Pire encore, ne pourrait-elle pas être monstrueuse ?
Pour Émile Verhaeren, dès la fin du XIXe siècle, la ville est déjà « tentaculaire » et effrayante. Elle grignote peu à peu la campagne. Elle vend de l’espoir mais la misère s’entasse dans la laideur des faubourgs. Les usines crachent des fumées qui polluent et obscurcissent le ciel. Menaçante, la ville ? Un danger pour l’homme ?
La ville devient Babylone. Et le poète l’observe, au loin, depuis une campagne tragiquement asphyxiée.
De l’ambivalence de la ville jaillit alors la polémique. La ville est-elle synonyme de modernité, de progrès, de confort, d’espoir et d’effervescence ? Ou bien de paupérisation, de pollution et de menaces ? Dès la fin du XIXe siècle, les débats actuels sont posés. La ville devient un enjeu pour l’avenir.
Ces questionnements profondément contemporains intéressent nos élèves et permettent de les initier à l’argumentation. Au-delà des lectures analytiques, l’étude de la représentation de la ville dans les œuvres poétiques leur fournit des exemples littéraires pour nourrir leur réflexion.
Mathieu
Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.