Skip to main content

Albert Lynch, Le Père Goriot, 1885

En classe de 4ème, le programme de français recommande l’étude d’un groupement de textes extraits de romans ou de nouvelles. Cette séquence s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « individu et société : confrontations de valeurs ? ». Il s’agit de proposer aux élèves la lecture de textes narratifs qui présentent des oppositions de valeurs ou des conflits, internes ou non, entre valeurs individuelles et valeurs collectives. Le roman, contrairement à l’épopée, repose en effet sur des personnages qui ont des valeurs individuelles. Ainsi, les romanciers humanisent leurs personnages et les dotent d’une véritable psychologie. Mais ces valeurs ne sont pas anodines car elles influencent les choix et les actes des personnages : elles orientent le récit. Au cours de cette séquence, on montrera donc aux élèves comment les valeurs façonnent un personnage de roman et comment la confrontation de ces valeurs influe sur l’action romanesque.

Plan de la séquence 4ème : Le personnage de roman et ses valeurs

1. Valeurs des personnages et action romanesque

Les textes descriptifs, explicatifs ou argumentatifs peuvent tout à fait se passer de personnages. Mais ce n’est pas le cas du texte narratif. En effet, le personnage, qu’il soit humain ou non, est nécessaire au récit sous toutes ses formes (mythes, contes, fables, romans…) car il est l’agent de l’action narrée. Ses péripéties, ce qui lui arrive et ce qu’il ressent forment la matière de toute narration.

Le personnage par ses choix et ses actes, fait avancer et oriente l’action romanesque. Or,  ce sont justement nos valeurs, principes ou idéaux auxquels nous accordons de l’importance, qui guident nos choix.

Aussi, dans le cadre d’une lecture analytique, le simple relevé, même justifié, des qualités et des défauts ne suffit pas à réellement comprendre un personnage. Au-delà des apparences, qui est vraiment ce personnage ? Que défend-il ? En quoi croit-il ? Pour dégager ces valeurs, souvent implicites, les élèves devront s’appuyer sur les actes, les paroles et les gestes des personnages. Ils devront réfléchir à ce qui les relie et à ce qui les motive. Attention cependant, ils devront garder à l’esprit que c’est la valeur qui explique l’action et non l’inverse.

On le voit, les valeurs donnent une psychologie au personnage. Elles participent donc à l’humaniser en le dotant d’une personnalité complexe qui n’est parfois pas exempte de contradictions. Les valeurs motivent le personnage dans sa quête et lui permettent d’accomplir sa mission ou, au contraire, génèrent frustrations et désillusions. Les valeurs d’un personnage peuvent donc l’aider ou le desservir, être des adjuvants ou des opposants.

2. Valeurs du personnage et schéma actanciel

Quand on veut que les élèves résument une œuvre, on leur demande ou conseille souvent de s’appuyer sur le schéma narratif. L’expliciter permet en effet de prendre conscience des étapes et de l’évolution de l’intrigue : quel problème se posait ? A-t-il été résolu ? Si oui, comment ?

Mais on peut approfondir ce résumé en s’appuyant sur le schéma actanciel et en identifiant les qualités des adjuvants qui ont permis la résolution du problème, ou au contraire les défauts des opposants qui ont empêché de le régler. On fait ainsi émerger les valeurs en jeu, celles qui sont louées par l’auteur et celles qu’il blâme.

Or, l’intérêt d’une œuvre littéraire se loge souvent dans les valeurs portées par les personnages, surtout lorsque celles-ci sont disruptives. En étudiant un roman, il est donc pertinent d’interroger l’écart avec ce qu’on lit habituellement ou avec les valeurs prônées dans l’espace-temps de l’acte d’écriture. En effet, l’époque et la société véhiculent des valeurs qui nous imprègnent et dont il faut parfois arriver à se défaire, notamment en soulignant leurs contradictions avec d’autres valeurs plus fortes. Certains romanciers s’engagent dans cette voie et nourrissent l’espoir de faire évoluer les mentalités, voire les normes morales et sociales, grâce à leurs écrits.

Il faut donc inviter les élèves à la réflexion. En quoi cette œuvre propose-t-elle une rupture avec les valeurs qui lui sont contemporaines ? Ou, au contraire, en quoi témoigne-t-elle des idéaux de son temps ?

3. Confrontations de valeurs : une dimension argumentative ?

Une invitation au débat

Les valeurs peuvent être individuelles ou collectives, voire universelles. Elles permettent de prendre des décisions et sont par conséquent souvent rattachées à une dimension morale. Le personnage agit d’une certaine manière parce que ses valeurs lui disent qu’il est bon qu’il en soit ainsi. Parfois, ses valeurs individuelles, fruits d’expériences personnelles, se confrontent aux valeurs collectives. Il est alors conduit à transgresser les normes communes, à les contester, à les dénoncer, à tenter de les faire évoluer. L’intitulé de l’objet d’étude commence par « individu et société » et se termine par un point d’interrogation. Le programme semble donc bien inviter les élèves à interroger et à débattre de cette confrontation entre les valeurs individuelles et collectives.

Défendre des valeurs

Jules Férat, Entrez, entrez, répétait-elle, 1885

Le personnage de roman est doté de comportements semblables à ceux des humains réels. En les mettant sous nos yeux de lecteurs, l’auteur nous invite à les critiquer, à les louer ou à les blâmer. Comment se comporte le personnage ? Quelles sont les conséquences pour lui ? Pour ceux qui l’entourent ? Le lecteur se positionne lui-même en comparant ses valeurs et ses actes à ceux du personnage romanesque.

On voit dès lors qu’il est tout à fait possible de profiter de cette séquence pour lancer des débats et initier les élèves à l’argumentation, en leur demandant par exemple de défendre ou de dénoncer certaines valeurs. Attention toutefois, on ne le répétera jamais assez : il convient de veiller à ce que les valeurs républicaines soient respectées en classe. Soyez donc vigilants lorsque vous choisissez vos sujets.

Une prise de position de l’auteur

L’étude des valeurs présentes dans un roman révèle une dimension argumentative. En effet, le personnage n’est qu’un « être de papier » animé et actionné par l’auteur. Il agit selon la volonté de l’auteur et la direction que celui-ci souhaite donner à l’intrigue. On invitera donc les élèves à interroger le message de l’auteur. Pourquoi attribue-t-il une valeur à un personnage plutôt qu’une autre ? Que souhaite-t-il nous montrer ainsi ?

4. De l’épopée au roman : la place des valeurs individuelles

Les épopées antiques présentaient des héros qui incarnaient et défendaient des valeurs collectives. Avec l’apparition du roman, on s’intéresse moins à la cité qu’à l’individu. D’ailleurs, le genre romanesque s’épanouit particulièrement au XIXe siècle, époque où se développent également le libéralisme et l’individualisme. On passe alors du héros exemplaire, qui sert notamment de modèle dans les écoles antiques, participant ainsi à la formation citoyenne, au personnage principal, plus ordinaire, qui peut avoir des défauts et être en proie à ses contradictions. D’ailleurs, le roman a donné naissance à la figure du antihéros.

Par ailleurs, alors que le héros épique était déterminé par son destin, le personnage romanesque semble libre de choisir parmi les nombreuses options qui s’offrent à lui.

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

Guy de MaupassantPréface de Pierre et Jean, 1888

Au XIXe siècle, les auteurs réalistes, puis naturalistes, ambitionnent de devenir des observateurs de la société et s’attachent au vraisemblable. Le roman se veut alors empirique. Les réalistes cherchent les causes et rendent l’action vraisemblable par des justifications psychologiques ou sociales. La psychologie des personnages est enrichie et présentée au lecteur, notamment grâce au discours indirect libre qui permet de pénétrer leurs pensées et de découvrir les valeurs qui sous-tendent leur conduite. Peu à peu, le personnage devient un type déterminé par son époque, son milieu et sa condition sociale. Un nouveau déterminisme apparaît donc. Les valeurs des personnages ne sont plus tout à fait individuelles car elles semblent partagées par un groupe social.

Finalement, il faudra attendre le XXe siècle pour que les auteurs, dans une démarche de déconstruction, libèrent totalement le personnage de tout horizon d’attente. En effet, alors que les réalistes le redoutaient tant, le surréalisme et le Nouveau Roman font entrer l’arbitraire dans le récit.

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.