En classe de 4e, le programme de français recommande l’étude d’un groupement de poèmes lyriques de différentes époques. Cette séquence s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « dire l’amour ». Il faudra d’abord déconstruire une représentation collective : le poème d’amour n’est pas nécessairement fleur bleue. Dès l’Antiquité, la thématique amoureuse a été largement explorée par les poètes et ils ont su peindre toutes les facettes de ce sentiment complexe et bouleversant. Il s’agit donc de montrer aux élèves que la poésie lyrique offre l’occasion de s’intéresser aux diverses nuances de l’amour et de réfléchir à la variété des émotions qu’engendre la passion. On interrogera également les caractéristiques du langage poétique, et plus particulièrement le rôle des images dans le lyrisme amoureux. On pourra enfin souligner que les poètes, bien qu’ils s’appuient sur un lyrisme personnel, témoignent de sentiments universels. Dès lors, l’amour est-il toujours synonyme de bonheur ? Comment les poètes peignent-ils le sentiment amoureux ? Quelles images poétiques convoquent-ils ?
1. Les nuances de l’amour dans la poésie
Les étapes de la passion amoureuse
Les poètes explorent l’amour dans ses diverses nuances. Bien sûr, ils s’intéressent à l’amitié ou à la tendre affection parentale. Mais, depuis le XIIe siècle, le mot « amour » renvoie le plus souvent à la passion amoureuse.
Elle aussi peut se décliner et les poètes en présentent différents aspects. En effet, la relation amoureuse peut avoir un avant, un pendant mais aussi un après. Il y a l’amoureux transi qui cache ses sentiments, celui qui déclare sa flamme et s’inscrit dans une démarche de séduction, celui qui loue la beauté de l’être aimé, celui qui se lamente d’être éconduit, celui qui perd la raison, celui qui souffre de l’absence de l’être cher… Puis, parfois, il y a la rupture amoureuse, le chagrin, les regrets, la nostalgie…
L’amour au cœur de la littérature
Dès le Moyen Âge, la littérature française s’empare de la thématique amoureuse. Les auteurs délaissent peu à peu la chanson de geste populaire pour se tourner vers le roman courtois aristocratique. Entre deux récits épiques, le chevalier dévoile alors sa sensibilité.
En effet, sous l’impulsion des femmes aristocrates, les mœurs de la société deviennent plus raffinées et la vertu du chevalier intègre dorénavant le respect et la loyauté envers les dames. Le concept de l’amour courtois, ou fin’amor, se développe et vient adoucir la brutalité de ces rustres combattants. Dès lors, l’amour occupe une place centrale et supplante les amitiés viriles des chansons de geste. Et si le chevalier recherche la vaillance, ce n’est pas tant pour entretenir sa gloire personnelle que pour plaire à sa dame, qui quant à elle sait se faire désirer et se rendre inaccessible.
Pendant la Renaissance, les poètes de la Pléiade redécouvrent les œuvres de leurs prédécesseurs latins : Horace, Tibulle, Virgile, Ovide… Inspirés par l’italien Pétrarque, nourris d’odes et d’élégies, ils ambitionnent d’enrichir la langue française en lui offrant une littérature aussi éclatante que celle des Romains. Mais il ne s’agit pas de traduire les auteurs antiques. Les poètes de la Renaissance veulent pratiquer l’innutrition et l’imitation : ils s’imprègnent des œuvres latines, se les approprient, puis composent des poèmes en suivant leur propre inspiration.
L’élégie : une porte ouverte sur d’autres sentiments
Le lyrisme élégiaque s’ancre ainsi durablement dans la poésie française. Or, l’élégie romaine, en s’appuyant sur le lyrisme personnel, s’intéresse à la passion amoureuse mais aussi et surtout aux souffrances de ceux qui aiment. En effet, pour les poètes élégiaques, l’amour n’est pas que bonheur. Ce sentiment est souvent source de tourments et de douleurs. Dans les poèmes d’amour, ce sont donc finalement bien souvent d’autres sentiments qui sont exprimés : la frustration, la tristesse, le désespoir, la nostalgie, la mélancolie… Et le pire reste qu’on ne saurait le contrôler ou s’en détourner. L’amour fait souffrir, notamment lorsque l’amant est éconduit ou lorsque la femme aimée se trouve être déjà mariée.
N’oublions pas qu’à la Renaissance, comme dans l’Antiquité, les époux s’aiment par devoir. La véritable passion amoureuse demeure, quant à elle, bien souvent adultère et donc défendue. Le bonheur amoureux n’existe finalement bien souvent que dans d’exquises rêveries.
2. Le registre lyrique : expression du sentiment amoureux
Lyrisme personnel ou universel ?
Lorsqu’on lit un poème d’amour, on peut interroger la part de lyrisme personnel qui le nourrit. La seule présence de la première personne du singulier n’apporte aucune garantie. Les sentiments peints par les poètes sont-ils authentiques ? Les muses qui les inspirent sont-elles réelles ou fantasmées ? La muse peut même être juste une idée, comme « cette femme inconnue » qui apaise Paul Verlaine dans ses rêves « étranges et pénétrants »…
De même, l’amour qui nourrit les poèmes que Pierre de Ronsard dédie à Cassandre, pourtant déjà mariée, n’est peut-être qu’un prétexte à la pratique de l’art poétique. Ce qui importe finalement au poète de la Pléiade est sans doute plus de codifier la versification française que l’expression d’un sentiment sincère et authentique. L’acte d’écrire est certainement davantage mû par un goût de la recherche stylistique que par un irrépressible besoin de crier son amour…
Caractéristiques du registre lyrique
D’un point de vue étymologique, l’adjectif lyrique renvoie à l’instrument utilisé par les aèdes grecs et par conséquent à la dimension musicale de la poésie. Toutefois son sens a évolué et le lyrisme désigne aujourd’hui l’expression intense des sentiments et des émotions. Plus spécifiquement, le lyrisme élégiaque fait référence à l’expression de la tristesse, de la mélancolie ou de la nostalgie en lien avec le deuil ou un amour malheureux.
L’enjeu pour les poètes est de parvenir à communiquer des états d’âme au lecteur. Ils s’appuient pour cela sur divers procédés d’écriture.
Tout d’abord, le poète s’implique en utilisant la première personne. Il peut en outre adopter une focalisation interne, voire laisser le lecteur accéder à ses pensées intimes. Cela se traduit notamment par l’emploi d’interjections, de phrases interrogatives ou de points de suspension.
Pour décrire leurs sentiments, les poètes s’appuient sur des analogies en ayant fréquemment recours aux comparaisons et aux métaphores. Par ailleurs, la présence d’antithèses révèle un bouleversement, des sentiments contradictoires ou des tourments.
Les sonorités du texte peuvent également faire écho aux sentiments du poète, notamment grâce aux allitérations et aux assonances.
Enfin, les phrases exclamatives, les anaphores et les hyperboles viennent renforcer l’expressivité en témoignant de l’intensité d’une émotion.
3. Images de l’amour et langage poétique
La symbolique du feu
L’évocation de la passion amoureuse s’appuie souvent sur la métaphore du feu en déployant un large champ lexical. On suggère ainsi une émotion violente qui se propage rapidement et consume l’amoureux de l’intérieur.
Ce symbole est particulièrement intéressant car le feu présente une ambivalence : il est à la fois destructeur et créateur, menace de mort et source de vie.
Dans la littérature, on rencontre cette association de l’amour au feu dès l’Antiquité. Cependant, à partir du XVIIe siècle, le symbole tend à prendre une dimension sexuelle. On l’utilise alors davantage par préciosité afin de respecter la bienséance. Puis, peu à peu, la métaphore du feu devient si éculée et convenue qu’elle apparaît comme un cliché qui fait sourire.
Le topos de la scène amoureuse
La scène amoureuse s’est donc codifiée au fil des siècles au point de devenir un topos.
Les auteurs peignent un cadre propice à l’amour. La scène amoureuse se déroule donc généralement à l’extérieur, dans un environnement naturel. Un couple se retrouve isolé, à l’abri des regards, ce qui favorise l’intimité et les confidences. Toutes les sensations peuvent être convoquées mais le sens privilégié est la vue, ce qu’on peut confirmer par la présence de son champ lexical.
Enfin, l’amour est généralement associé au printemps, saison agréable pendant laquelle la nature est fertile et foisonnante.
- Tin Louis-Georges, L’invention de la culture hétérosexuelle, Autrement, « Sexe en tous genres », 2008, 208 pages.
- Becker Karin, « La symbolique du feu et de la flamme dans la littérature – Article invité », Linguae & Rivista di lingue e culture moderne, 15, 9-28, 2016. https://doi.org/10.7358/ling-2016-001-beck
Mathieu
Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.