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Le programme de 6e invite les enseignants à proposer aux élèves la lecture d’un groupement de fables dans le cadre de l’objet d’étude « Résister au plus fort : ruses, mensonges et masques ». On pense alors bien évidemment à l’œuvre de Jean de La Fontaine. Le fabuliste classique a traité ce thème sous divers angles. Parfois les puissants sont cruels et il semble bien impossible de leur résister. D’autres fois, les plus forts se savent tout de même vulnérables et ont la sagesse de respecter les plus petits : ainsi le Rat vient en aide au Lion magnanime. Dans un monde où le pouvoir est absolu, les plus faibles usent de la ruse, de la flatterie et du mensonge pour rééquilibrer le rapport de force. Alors, tromper l’autre, est-ce moral ? Le mensonge peut-il se justifier ? Et, au final, à qui va notre compassion de lecteur ? Il n’est pas évident que les élèves préfèrent le Renard au Bouc ou au Corbeau…

Plan de séquence 6ème Les Fables de La Fontaine

1. L’art du conteur

Certes, Jean de La Fontaine s’est inspiré des fables antiques d’Ésope et de Phèdre. Cette innutrition s’inscrit dans le contexte littéraire du XVIIe siècle et de la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes. Le fabuliste, au sein de l’Académie française, avait choisi son camp : celui des Classiques. Il défendait ainsi une littérature française bâtie sur l’imitation des auteurs de l’Antiquité.

Mais imiter n’est pas traduire. La Fontaine s’empare de ces apologues qui ont traversé les siècles grâce à la tradition orale d’une part et les manuscrits d’autre part. Il modifie l’histoire et change parfois la morale. Il apporte sa touche personnelle et révèle son talent de conteur, faisant vivre des scènes universelles et plaisantes, sans superflu, toujours dans la justesse et l’économie de détails. Chez La Fontaine, on ne trouve rien à enlever. Pas un mot de trop, tout est pesé. La concision se fait l’alliée de l’efficacité.

Le schéma narratif

La plupart des fables de La Fontaine répondent à un schéma similaire. Il y a d’abord une situation initiale qui présente les personnages, leurs qualités et leurs défauts. Ceux-ci se rencontrent et entrent en conflit : c’est l’élément perturbateur. Vient alors le dialogue, péripétie principale. La joute verbale se déploie et impose une situation finale qui illustre la morale de l’apologue.

Illustration de Gustave Doré

Gustave Doré, Le corbeau et le renard

Comment rendre un texte vivant ?

Mais la force de La Fontaine, c’est de rendre son texte vivant.

Le fabuliste se rêvait d’abord conteur et on le ressent à la lecture de son œuvre. Dans chaque fable, le narrateur surgit et fait entendre sa voix, n’hésitant pas à employer la première personne du pluriel. Il crée ainsi une connivence avec le lecteur qui lui permet de jouer avec l’humour et l’émotion.

Ainsi, son récit n’est pas neutre. La Fontaine ne se contente pas de « conter pour conter ». En narrateur omniscient, il prend parti, modalise et ne rechigne pas à employer des termes connotés.

La scène prend vie sous nos yeux. Le présent de narration succède naturellement au présent d’énonciation et le lecteur accueille avec délectation les plaisantes personnifications.

2. Le théâtre des animaux

Illustration de Gustave Doré

Gustave Doré, Le renard et le bouc

L’univers de Jean de La Fontaine est en effet indissociable des animaux qu’il met en scène. Sitôt qu’on évoque le fabuliste, nous viennent en tête des images de fourmis, de cigales, de renards, de loups, de lions, de lièvres, de tortues et même de rats !

Le discours rapporté opère comme une théâtralisation de la faune foisonnante des Fables. Le lecteur assiste à une saynète, un véritable spectacle. Il cède au merveilleux et accepte volontiers que le renard européen côtoie le lion des savanes le temps d’un tableau.

Par la personnification et le discours, ces animaux deviennent personnages et même comédiens. Derrière les animaux, le lecteur voit les valeurs des hommes qu’ils symbolisent.

L’utilisation de la personnification permet au lecteur d’adopter une distanciation propice à la réflexion. Il reconnaît les défauts humains dans les personnages sans être pour autant directement impliqué. Ainsi, il devient un lecteur actif, invité à penser la scène qui se déroule dans son théâtre intérieur au gré de sa lecture.

3. L’ambiguïté des fables : une invitation à la réflexion

En déclarant qu’il veut « instruire et plaire », La Fontaine confère à ses fables une dimension didactique. L’école de la IIIe République s’est d’ailleurs emparée de son œuvre pour inculquer aux enfants des morales du bon sens. Les Fables de La Fontaine sont depuis devenues incontournables pour les écoliers français. Le succès de ce support didactique tient à sa structure. Il fournit une morale pragmatique et rendue quasi empirique grâce à l’exemple fourni par l’apologue.

La morale ne fait pas tout

Toutefois, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que certaines morales se contredisent ou du moins se nuancent les unes les autres. C’est que la morale proposée est dépendante du contexte fixé par l’apologue qui l’accompagne. Finalement, c’est au lecteur de construire sa propre morale en prolongeant la réflexion.

Les Fables de Jean de La Fontaine, derrière leur apparente légèreté et un dogmatisme de façade, ont donc une portée philosophique. Il s’agit presque d’un manuel de développement personnel qui tente de donner au lecteur des clés pour vivre heureux. Mais les morales sont souvent implicites, parfois ironiques, et les fables invitent surtout le lecteur à réfléchir et à apprendre à se connaître pour accéder au bonheur, s’inscrivant dès lors dans une dimension épicurienne.

Les gentils et les méchants

En classe de sixième, les élèves positionnent souvent encore les personnages dans un classement binaire qui sépare les gentils et les méchants. L’étude des fables de La Fontaine est une excellente occasion de les amener à dépasser cette vision simpliste tout en les conduisant à approfondir leur réflexion sur le texte.

Illustration de Gustave Doré

Gustave Doré, Le lion et le rat

Ainsi, à la lecture de « La Cigale et la Fourmi », on peut engager un véritable débat en interrogeant l’attitude de la Fourmi. Même si l’école de la IIIe République, sous l’impulsion de la morale bourgeoise contemporaine, a diffusé l’idée que La Fontaine loue la valeur du travail dans cette fable, faisant de la Cigale une odieuse paresseuse qui profite des autres, les élèves peuvent avoir l’intuition que la Fourmi n’est pas sympathique et manque de générosité. En lisant attentivement, on s’aperçoit d’ailleurs qu’il n’est nullement dit que la Fourmi a travaillé. Le champ lexical utilisé en fait davantage une usurière avare. Est-ce moral ? Et la Cigale n’est-elle pas une figure de l’artiste qui pour pouvoir exercer son art, et divertir ainsi les autres, est obligé de chercher un mécène généreux qui lui assurera une protection financière ? Son travail et son rôle ne méritent-ils pas davantage de reconnaissance ?

Par ailleurs, chez La Fontaine, les animaux présentent souvent de multiples visages d’une fable à l’autre. Ainsi, le Loup se montre cruel avec l’Agneau mais incarne la liberté lorsqu’il s’entretient avec le Chien.

Ne peut-on pas trouver que ce frêle Roseau se montre peu empathique et avoir pitié du Chêne arrogant lorsqu’il finit par rompre ?

4. Une résistance face aux plus forts ?

L’éthique de la ruse et du mensonge

Gustave Doré, Le coq et le renard

De nombreux animaux ont recours à la ruse et au mensonge dans les fables de La Fontaine. Là encore, on peut inviter les élèves à une réflexion éthique. La tromperie et le mensonge sont a priori immoraux. Pourtant, il n’est pas rare de voir chez La Fontaine que la ruse est valorisée. Les animaux qui l’emploient sont généralement avisés et expérimentés, comme le « vieux Coq » qui parvient à tromper le Renard, pourtant lui-même spécialiste de la ruse.

Face à la ruse, on trouve d’ailleurs deux réactions possibles dans les Fables : la naïveté ou la prudence méfiante et sage. Le Bouc et le Corbeau, victimes du Renard, paient le prix de leur crédulité. Le mensonge est présenté dans ces fables comme un avantage stratégique dont il faut parfois user pour parvenir à ses fins. Toutefois, La Fontaine semble davantage inviter les lecteurs à se méfier des beaux parleurs qu’à en devenir eux-mêmes.

Le rapport de La Fontaine au pouvoir

Jean de La Fontaine débute l’écriture de ses Fables après l’arrestation de son protecteur Nicolas Fouquet. Il a donc déjà pu expérimenter l’injustice de la monarchie absolue.

Illustration de Gustave Doré

Gustave Doré, Le loup et l’agneau

Cela a son importance car on constate que l’ouvrage n’est pas dédié au roi Louis XIV comme on pourrait s’y attendre mais à Monseigneur le Dauphin, héritier du trône. Jean de La Fontaine évite ainsi de s’opposer frontalement au roi tout en gardant ses distances. D’ailleurs, il critique dans plusieurs fables les abus d’un pouvoir absolu, sous couvert d’offrir au Dauphin une réflexion sur la justice et l’exercice d’un pouvoir monarchique respectable.

Jean de La Fontaine se montre prudent et se garde bien d’offenser le souverain absolu. Sa loyauté envers Fouquet l’a rendu impopulaire à la cour de Versailles, même s’il trouve davantage de soutien à Paris et dans les salons mondains. Aussi, dans ses fables, la satire porte davantage sur les courtisans que sur le monarque.

Il a conscience que l’époque est dangereuse. Comme il le montre dans « Le Loup et l’Agneau », il sait que les procès sont truqués et que seule la flatterie assure une protection efficace. La Fontaine est un observateur lucide de son temps. Lucide mais plus résigné que révolutionnaire. Il dénonce les injustices mais accepte que « la raison du plus fort soit toujours la meilleure ». Il fait preuve d’un certain fatalisme qui le conduit à accepter sa condition. Son idéal de liberté et d’égalité se heurte au pragmatisme des rapports de force et à la violence des jeux de pouvoir.

Notons toutefois que dans « Les membres et l’estomac », La Fontaine compare la monarchie de Louis XIV à l’oligarchie romaine. Il évoque une sécession qui fut suivie de la création des tribuns de la plèbe, des représentants élus…

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.