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Dans le cadre de l’objet d’étude « se raconter, se représenter », le programme de Français recommande de proposer en 3ème un groupement de textes constitué de différentes formes d’écriture de soi : essais, mémoires, autobiographies, correspondances et journaux intimes. Il y a de quoi se perdre dans un corpus aussi large ! Alors, quels sont les enjeux didactiques d’une telle séquence ? Tout d’abord, si on présente des genres aussi variés, il faudra expliquer aux élèves leurs caractéristiques, leurs points de convergence et leurs différences. On explorera ensuite le pacte autobiographique et ses limites. Enfin, on interrogera les motivations des auteurs et l’intérêt de telles lectures.

1. Les multiples formes de l’écriture de soi

Tout d’abord, ce qu’on appelle parfois « le genre autobiographique » existe-t-il vraiment ? Le programme prend bien soin de ne pas employer cette expression qui trouble plus qu’elle n’offre une classification fiable. À la place, il évoque une écriture de soi. Certes, il mentionne bien l’autobiographie mais, en la distinguant clairement du roman autobiographique. Il souligne ainsi la nécessité de dépasser une définition étymologique peu satisfaisante. « Écrire sur sa propre vie » peut revêtir des formes diverses : essais, mémoires, autobiographies, correspondances et journaux intimes…

Un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité.

Philippe Lejeunespécialiste de l'autobiographie

La définition proposée par Philippe Lejeune nous permet de différencier l’autobiographie des autres genres. Le genre épistolaire et le journal intime en sont exclus car ils n’entrent pas dans le cadre d’un récit rétrospectif dès lors qu’ils rendent compte d’une expérience récente. Là où l’essai s’intéressera aux pensées et aux opinions, les mémoires impliqueront un témoignage historique ou politique alors que l’autobiographie se concentrera sur la construction de la personnalité de son auteur. La narration construira peu à peu un autoportrait moral, en conjuguant rétrospection et introspection.

Enfin, le roman autobiographique prend l’apparence de l’autobiographie mais n’en respecte pas nécessairement les règles. L’auteur s’autorise quelques libertés avec la réalité, ce qui le ramène vers la fiction. Il ne raconte pas sa vie mais une vie qui ressemble par certains aspects à la sienne.

2. Le pacte autobiographique et ses limites

Nadar, George Sand, 1864

Le lecteur d’autobiographie a en effet une exigence légitime : il attend que l’auteur soit sincère et que son récit soit fidèle à la réalité. Dès lors que le récit laisse apparaître une identité de l’auteur, du narrateur et du personnage, un pacte se noue. Souvent, l’auteur explicite ce pacte autobiographique dans une préface. Il sera donc pertinent d’en étudier plusieurs avec les élèves.

L’auteur y expose son projet littéraire, y donne ses motivations et s’y engage à écrire la vérité. Rien que la vérité ou presque, car ce pacte est un défi qui donne le tournis tant la tâche devient colossale. Même la prolifique George Sand reconnaît, dans Histoire de ma vie, qu’elle a retardé le moment de se mettre à l’ouvrage. Et comme « plus on s’y absorbe, moins on y voit clair », elle écrira finalement son autobiographie en deux fois, laissant reposer son travail pendant plusieurs années.

Avant d’être honnête envers le lecteur, il faut l’être avec soi-même car les omissions, même involontaires, orientent nécessairement le récit. Or, c’est à l’auteur qu’il incombe de choisir les moments qui mériteront d’être racontés, ceux qui ont contribué à forger sa personne. Tout dire se révèle d’abord impossible, tant la mémoire est capricieuse, ensuite ennuyeux, tant les instants d’une vie se lovent parfois dans la banalité quotidienne.

Il est quelquefois nécessaire de combler les trous de sa mémoire en réunissant des documents, en convoquant la mythologie familiale ou en retournant sur les lieux de son enfance pour mieux s’en imprégner. Ainsi, certains autobiographes, comme Chateaubriand par exemple, parviennent à raconter leur naissance, dont ils ne conservent pourtant bien entendu aucun souvenir.

Et il faut encore se sentir la force de dépasser la pudeur et l’autocensure ! Dans son avant-propos au lecteur des Essais, Montaigne nous prévient : il se mettra à nu « autant du moins que les convenances le permettent ». Là, le lecteur joue un rôle. L’auteur attend de lui de la bienveillance. Il s’engage dans la voie de la sincérité : le lecteur peut se fier à son récit mais la confiance doit être mutuelle. En entrant dans l’œuvre autobiographique, le lecteur devient un ami, un confident, un proche… Une certaine familiarité peut même s’installer et certains auteurs osent le tutoiement.

3. Se raconter, se représenter

Johannes Gumpp, Autoportrait, 1646

Finalement, se raconter est une entreprise délicate. Comment être certain que ce qu’on voit de soi et qu’on donne ensuite à voir est bien le reflet de la réalité ?

L’Autoportrait de Johannes Gumpp illustre parfaitement cette problématique. Contrairement à ce que le titre laisse penser, l’artiste ne se peint pas mais il donne à voir le dispositif technique nécessaire à la peinture de soi. Le véritable autoportrait est peint, en abyme, dans l’œuvre. Le tableau montre un miroir qui renvoie une image fugace qui change au moindre mouvement de l’artiste. Celui-ci, pourtant, s’efforce de fixer sur une toile une représentation de lui-même. Mais la représentation n’est qu’une image de la réalité et le modèle, l’artiste lui-même, ne nous apparaît que de dos. Malgré la sincérité de la démarche, le moi véritable toujours se dérobe et reste insaisissable.

4. Pourquoi écrire son autobiographie ?

Qu’est-ce qui pousse alors un auteur à s’engager dans une entreprise aussi fastidieuse ?

L’antiphrase de Montaigne suggère un désir, parfois inconscient, de « passer à la postérité ». Il y a bien sûr de l’ego dans tout ça. Tant de « je »… Mais l’ego n’est pas l’orgueil. George Sand voit dans l’autobiographie un acte de partage amical. En racontant sa vie et ses sentiments, elle vient en aide au lecteur qui se reconnaîtra dans son récit. Constater qu’un autre a vécu une épreuve similaire à celle qu’on traverse, et qu’on croyait sans issue, peut nous redonner la force d’avancer dans notre propre vie. C’est une mission altruiste de l’écrivain. Lui, qui sait peindre la vie avec des mots, se doit de raconter ces épreuves de la vie et ces sentiments universels.

Maurice Leloir, Le peigne cassé, 1889

D’autres, comme Rousseau, dressent un bilan de leur vie, avouent leurs fautes, tentent de se justifier et espèrent la pitié des lecteurs.

Souvent, l’auteur, personnalité publique, est mû par un désir de rétablir la vérité. Ainsi, Scarron, dans son « portrait fait par lui-même », répond à ceux qui se moquent de son apparence physique. Il montre qu’il sait faire preuve d’autodérision et, avec humour, rappelle qu’il est bien plus qu’un malade.

D’ailleurs, l’autoportrait moral est presque omniprésent dans l’autobiographie, y compris lors des autoportraits physiques. Il faut lire l’implicite derrière une description ou le récit d’une bêtise d’enfance. Partout, l’auteur est en introspection. Il s’observe, s’étudie, se résume et tente de se comprendre.

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.