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William Julian-Damazy, Le Horla, 1908

En classe de 4ème, le programme de français recommande l’étude d’une nouvelle fantastique qui doit être lue dans son intégralité par les élèves. Cette séquence s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « la fiction pour interroger le réel » en parallèle de la découverte du réalisme. Dans les deux cas, il s’agit de réfléchir aux limites de la représentation littéraire de la réalité. Toutefois, l’étude du registre fantastique conduit à une réflexion sur notre perception même du réel et sur ce que nous appelons le surnaturel. Nos sens nous permettent-ils vraiment d’apprécier toutes les dimensions de la réalité ? La lecture de la nouvelle Le Horla, écrite par Guy de Maupassant, offre l’occasion d’aborder ce questionnement. En effet, dès l’incipit, l’auteur évoque cette problématique qu’il met au cœur de son œuvre. Le narrateur-personnage raconte, dans un récit qui prend la forme d’un journal intime, son impression d’être la proie d’un être invisible qui l’oppresse et le persécute chaque nuit. Conscient des limites de la perception sensorielle humaine, il admet peu à peu l’existence surnaturelle de son oppresseur. Il doute cependant de lui-même et se demande s’il n’est pas simplement en train de sombrer dans la folie et la paranoïa, explication plus rationnelle que le lecteur est tenté de partager.

Plan de la séquence 4ème Le Horla une nouvelle fantastique

1. Définir le fantastique

Le Horla et la rose

William Julian-Damazy, Le Horla, 1908

Pour les élèves, le fantastique est généralement synonyme de merveilleux et de fantasy. Le premier objectif de cette séquence sera donc de définir le registre fantastique pour lever cette confusion. Le merveilleux, qu’on utilise notamment dans les contes, repose sur des éléments imaginaires qui sont d’emblée acceptés par le lecteur alors que le fantastique s’appuie sur le doute du personnage principal, mais aussi des lecteurs, face à l’incursion – l’intrusion ? – d’éléments surnaturels dans un cadre réaliste. La fantasy a recours au registre merveilleux et se distingue en outre du fantastique par le fait que le récit ne s’ancre pas dans un cadre réaliste. Les éléments surnaturels qui y sont évoqués ne provoquent donc pas nécessairement la peur.

Le fantastique apparaît dès lors comme une réflexion sur les limites du réel. Il se développe au XIXe siècle dans un contexte de foi dans la science et le progrès. À cette époque, où les sciences occultes et le spiritisme séduisent, l’idée se répand que le surnaturel ne relève pas de l’imaginaire mais plutôt de phénomènes que la science ne peut pas encore expliquer. Les découvertes de la psychologie, de l’hypnose et de l’inconscient témoignent d’ailleurs des vastes champs que la connaissance humaine doit encore explorer.

2. Le fantastique : de la peur au doute

Le Horla : cauchemar du narrateur

William Julian-Damazy, Le Horla, 1908

Dans une nouvelle fantastique, le narrateur est généralement aussi un personnage qui est le témoin direct de phénomènes surnaturels. Il doute, cherche en vain des explications rationnelles. Il tente de rejeter les hypothèses surnaturelles qui l’effraient. Il craint par-dessus tout de sombrer dans la folie. Il sera donc particulièrement opportun de travailler le lexique de la peur dans le cadre de cette séquence. De même, on pourra montrer aux élèves la manière dont le narrateur modalise son discours : adverbes, emploi du conditionnel, points de suspension…

L’étude d’une nouvelle fantastique demandera aux élèves une lecture fine et attentive des extraits proposés. Ils devront relire plusieurs fois les textes pour y débusquer les indices, parfois implicites, que sème le narrateur pour instiller le doute dans l’esprit des lecteurs en proposant une double lecture des événements racontés. Le récit à la première personne, et de surcroît la forme du journal intime dans Le Horla, renforce l’identification du lecteur au personnage. Toutefois, le fantastique place également le lecteur dans une position inconfortable : peut-il se fier au narrateur ou doit-il remettre en question ce qui lui est narré ? Est-il prêt à accepter la réalité des faits surnaturels présentés ? Qu’en pense-t-il lui aussi ? Sa rationalité peut-elle le supporter ? Le fantastique interroge le lecteur dans sa propre perception de la réalité. Lui aussi se met peut-être à douter… L’inconfort est d’autant plus grand que la narration adopte un point de vue interne qui empêche le lecteur d’accéder à une autre perception des faits.

3. La nouvelle : un genre propice au fantastique

Le fantastique repose ainsi sur une tension narrative. Il faut maintenir à chaque page l’angoisse du personnage et ses doutes, répéter cette association sans toutefois lasser le lecteur. Le genre de la nouvelle se prête donc bien à ce registre. Il permet de proposer un récit construit, intégral, mais dense.

Il n’est donc pas étonnant que Guy de Maupassant, nouvelliste prolifique, s’y soit adonné.

Par ailleurs, ce registre trouve son origine dans le roman gothique anglais, genre qui a séduit les écrivains romantiques français. Le récit fantastique est donc en vogue au XIXe siècle. On peut par exemple citer La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac, La cafetière de Théophile Gautier ou encore La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée.

4. Le Horla : de la fiction à la réalité

En se penchant sur la vie de Guy de Maupassant, on peut être tenté de lire dans Le Horla le reflet de préoccupations personnelles de l’auteur. En effet, le nouvelliste, malade de la syphilis, a lui-même souffert d’hallucinations et de paranoïa. On imagine donc aisément son intérêt pour les troubles psychiatriques et son angoisse de la folie.

Cette dimension biographique est d’ailleurs renforcée par le choix de la forme du journal intime qui rend le récit plus personnel, bien qu’il reste fictif.

5. Le personnage du Horla

Le Horla un démon

Johann Heinrich Füssli, Le cauchemar, 1781

Le personnage éponyme de la nouvelle reste mystérieux jusqu’à la fin. Il est une « Puissance » personnifiée mais immatérielle, ou du moins invisible.

Le narrateur donne cependant des pistes en évoquant « des sortes de vampires qui se nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil » dans son récit du 19 août. Déjà, le 4 juillet, il racontait : « cette nuit, j’ai senti quelqu’un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres ».

Le Horla prend également la forme d’un démon dans le récit du 25 mai : « s’agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre ses mains et serre ».

Le Horla, personnage surnaturel, reste insaisissable. Quel est son but ? Pourquoi s’en prend-il précisément au narrateur ? Sa nature même se dérobe et l’auteur crée un néologisme pour le désigner. S’agit-il d’un jeu de mots ? Est-il celui qui est « hors de là » ? Ou bien celui qui est à la fois « hors » du réel et « là » en même temps ?

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.