En classe de 3ème, le programme de français recommande l’étude d’un groupement de textes qui relèvent de la satire. Cette séquence didactique s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « dénoncer les travers de la société ». Si le comique satirique est connu des élèves pour son utilisation par les caricaturistes, il s’agit de leur montrer que ce registre a également des racines anciennes en littérature. On pourrait remonter aux textes antiques et médiévaux mais aussi restreindre notre corpus aux réflexions morales des écrivains du XVIIe siècle et aux écrits des philosophes des Lumières. On constituera alors un groupement de textes à partir de comédies, de fables, de romans épistolaires ou bien encore de contes philosophiques. Ainsi, on envisagera la satire tant dans sa dimension sociale et morale que sous un angle politique. On soulignera notamment son rôle dans la dénonciation des abus du pouvoir monarchique. L’humour satirique est parfois difficile à saisir car il s’appuie sur l’ironie et l’implicite, qui suggèrent une connivence culturelle entre l’émetteur et le récepteur de l’œuvre. Comment et pourquoi dénoncer par le rire ? Pourquoi privilégier la satire à une argumentation plus sérieuse ? Comment ridiculiser les travers de nos contemporains et des puissants ? Ne risque-t-on pas de blesser ou d’irriter et de s’exposer ainsi à une situation aussi inconfortable que dangereuse ? Enfin, comment déjouer la censure pour être libre d’exprimer ses opinions ?
1. Les caractéristiques de la satire
Le texte satirique se présente comme une critique, parfois provocante, qui conduit le lecteur à la réflexion, voire à une prise de conscience. Elle repose sur le comique car elle opère en ridiculisant des personnes ou des comportements pour souligner un problème moral, social, religieux ou politique. Castigat ridendo mores. Le rire permet de mettre à distance les travers de notre société, de les regarder de plus loin, sous un autre angle. Cette observation distanciée oblige le lecteur à réfléchir et à prendre lui-même position.
Ainsi, la satire est à la fois divertissante et instructive. Elle pointe du doigt les travers de nos mœurs mais elle se veut plus moraliste que moralisatrice. Elle exprime une opinion, voire une thèse. Elle souligne nos contradictions et nos absurdités mais n’entend pas nécessairement dire au lecteur ce qu’il doit penser, c’est à lui de rencontrer l’œuvre et de cheminer, ou non.
Le comique satirique s’appuie principalement sur l’hyperbole. Comme la caricature graphique, l’écriture satirique exagère et amplifie les détails. Elle exploite également le comique de situation, les connotations péjoratives ou bien encore le grotesque et la trivialité. Les auteurs ont aussi recours aux antithèses et aux jeux de mots pour rendre certaines phrases plus percutantes et retenir ainsi l’attention du lecteur, à la manière des « punchlines » qui nourrissent aujourd’hui le buzz médiatique.
”Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur.
Pierre-Augustin Caron de BeaumarchaisLe Mariage de Figaro, V, 3
2. La satire : une tradition littéraire
La satire est présente dans la littérature dès l’Antiquité. On pense bien sûr aux poètes satiriques latins : Lucilius, Juvénal ou bien encore Horace.
Au Moyen Âge et à la Renaissance, de nombreux écrivains se moquent de l’Église chrétienne et désacralisent la figure du moine. On peut par exemple citer le passage sur l’abbaye de Thélème dans Gargantua de François Rabelais. Dans le Roman de Renart, Ysengrin se fait moine dans le seul but de se voir offrir à manger. Enfin, les fabliaux intitulés Le curé qui mangea des mûres et Estula usent avec malice du comique de situation pour tourner les prêtres en dérision.
Au XVIIe siècle, la satire s’attaque aux puissants. Les mœurs de la cour et des bourgeois sont raillées, notamment par Molière et Jean de La Fontaine. Les auteurs, bien que prudents, critiquent également le pouvoir et dénoncent les injustices sociales. Mais il faut attendre le siècle suivant pour que la monarchie absolue soit réellement attaquée et devienne la cible des Lumières.
3. Critiquer les puissants, déjouer la censure
La satire a un rôle social nécessaire. Elle soude les dominés en leur permettant de rire ensemble de ceux qui les oppressent et leur permet ainsi d’évacuer des frustrations. Toutefois, les pouvoirs autoritaires n’entendent pas permettre cette liberté d’expression. Ils ont donc recours à la censure. Pour les auteurs, il s’agit alors de la déjouer en développant des stratégies d’écriture diverses. Jean de La Fontaine, par exemple, s’appuie sur la personnification. Dès lors, le monarque absolu devient un redoutable et féroce lion, le courtisan flatteur un renard et le fragile paysan un animal de ferme.
Montesquieu, pour ses Lettres persanes, adopte une autre technique. Il exploite le goût de la cour et de la bourgeoisie pour l’orientalisme. Ainsi, à travers le regard fictif de Persans qui découvrent Paris, il s’autorise à critiquer sans ambages la société française, ses contemporains mais aussi le roi lui-même. Il se protège en dissimulant sa satire derrière un décalage culturel qui rend les mœurs françaises étrangères et singulières.
Voltaire aussi, dans Candide, utilise ce stratagème pour dénoncer l’esclavagisme. Il donne la parole au discours direct à un esclave du Surinam. La critique semble plus légitime puisqu’elle émane d’un homme qui est victime du système mis en place par les Européens. Comment pourrait-il avoir un autre avis ? Mais la force de l’ironie, les jeux de mots et le registre pathétique permettent d’emporter l’adhésion du lecteur et de le faire réfléchir.
Dans Le Mariage de Figaro, à la scène 3 de l’acte V, Beaumarchais explique toute la difficulté pour les écrivains d’exprimer une opinion. Le constat est simple : on ne peut rien dire sans risquer de froisser quelqu’un quelque part. Il y aura toujours quelqu’un pour se plaindre, c’est inévitable. Le célèbre monologue de Figaro est encore aujourd’hui d’une justesse déconcertante. Au-delà de la critique cinglante et virulente de la censure, ce texte invite chacun de nous à réfléchir à la réception de l’œuvre satirique. Il pose le problème de la tolérance et des limites de la satire. S’il était interdit de critiquer, les éloges reçus auraient-ils la même saveur ? Comment saurions-nous s’ils sont sincères ? Et si nous sommes blessés par une critique, n’est-ce pas parce qu’il y a là du vrai ?
4. Dimension argumentative de la satire
On peut profiter de la dimension argumentative des textes satiriques pour préparer les élèves à traiter le sujet de réflexion proposé lors de l’épreuve du D.N.B.
En effet, les critiques morales qu’ils contiennent ont souvent une portée universelle et l’enseignant peut aisément actualiser les questionnements soulevés. Par exemple, si nous nous indignons du sort réservé à l’esclave du Surinam, ne pouvons-nous pas nous intéresser à celui de ceux qui subissent les conséquences d’une société de consommation mondialisée ? Sommes-nous certains que les biens que nous achetons ont été produits de manière éthique ? Se pourrait-il que les métaux rares présents dans nos téléphones soient aujourd’hui le sucre dont nous parle Voltaire ? De même, à partir de la critique formulée par Montesquieu à l’égard de l’inconstance des Français en matière de mode vestimentaire, il est possible d’interroger les élèves sur leur propre rapport à la mode et plus largement sur notre société du zapping qui dénigre sans concession aujourd’hui ce qu’elle adulait hier.
L’enseignant peut donc, au cours de cette séquence, travailler l’argumentation avec ses élèves, tant à l’oral qu’à l’écrit.
Une simple discussion informelle est envisageable mais on peut aller plus loin en demandant aux élèves de défendre une thèse et de préparer des arguments. Cela reste pour beaucoup d’entre eux un exercice difficile. On pourra donc commencer par leur demander d’en repérer dans les textes étudiés.
Par ailleurs, certains élèves ont tendance à n’utiliser que des arguments par l’exemple. Or, dans le cadre de l’épreuve d’expression écrite, il est préférable de les encourager à dissocier l’argument de son illustration.
Mathieu
Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.