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Nos élèves peuvent-ils encore rire en lisant Le médecin malgré lui de Molière ? Ce n’est pas si évident au premier abord. Entre évolution de la langue et décalage culturel, les difficultés sont nombreuses. Pourtant, lorsque j’ai une classe de sixième, je propose toujours aux élèves une séquence qui s’appuie sur l’étude de cette pièce de théâtre en œuvre intégrale. L’enjeu est de leur faire découvrir le lexique théâtral d’une part et les différents procédés comiques d’autre part.

1. Le regard des élèves sur une œuvre du XVIIe siècle

L’obstacle de la langue

La séquence commence toujours après des vacances scolaires. Les élèves de sixième en ont profité pour lire la pièce, ou du moins essayer de le faire.

Nous débutons donc l’étude du Médecin malgré lui par une discussion franche. Chacun est libre de dire ce qu’il a pensé de la pièce. Afin de déculpabiliser tout le monde, je précise tout de suite qu’il y a plein de livres que je n’aime pas. C’est un droit du lecteur de ne pas rencontrer une œuvre. Mon rôle d’enseignant est d’apporter un autre regard, de montrer aux élèves ce qui leur avait échappé lors de cette première lecture.

Nous résumons l’intrigue. Certains s’aperçoivent alors qu’ils n’avaient pas tout compris.

De nombreux élèves se disent gênés par la langue de Molière, tantôt trop soutenue, tantôt désuète. Certains sont surpris quand je leur révèle qu’il s’agit d’une comédie. Eux, élèves de sixième, n’ont pas ri du tout, ou si peu… Il faut dire que leur lecture s’interrompait sans cesse pour consulter les notes de bas de page.

Misogynie de Sganarelle

Sganarelle, l’image du macho ? (Gravure d’Horace Vernet)

Misogynie et violences conjugales

Au début de la séquence, l’étude de la scène d’exposition dévoile un autre problème. Les élèves ne voient pas en Sganarelle un personnage comique. A leurs yeux, c’est un ivrogne qui bat sa femme. Pauvreté, alcoolisme, misogynie et violences conjugales. Comment rire de sujets si graves qui sont malheureusement le quotidien de certains adolescents ? Il m’est même arrivé de voir une élève pleurer à la lecture de ce texte. Sganarelle lui rappelait son père !

De manière générale, je constate chaque année que les élèves sont de plus en plus choqués par l’attitude de Sganarelle envers Martine. Sa misogynie ne les fait pas rire du tout et ils condamnent cet humour douteux d’un autre temps.

2. Voir le théâtre avant de le lire

Si on veut que les élèves goûtent à la saveur du comique de Molière, il est essentiel de leur donner à voir les scènes étudiées en classe au cours de la séquence.

Nous commençons donc chaque séance en visionnant des extraits d’une captation théâtrale. Je ne donne aucune consigne pendant cette diffusion. Elle doit être un moment de plaisir. Il ne s’agit pas de se concentrer sur une tâche.

Les élèves rient, souvent. Lorsque cela ne se produit pas, je me lance. Je fais entendre mon rire. Ils comprennent alors que c’est autorisé et tout le monde se sent alors plus en confiance. Au fil de la séquence, la pudeur s’éloigne. Rire, pour certains, c’est se dévoiler aux autres et donc potentiellement se mettre en danger.

La séance de lecture analytique commence alors. Les activités proposées conduisent les élèves à se plonger dans un texte qui leur est déjà plus familier. Comme ils ont compris la situation et perçu les éléments comiques, ils peuvent plus facilement se livrer à une lecture fine du texte.

Lorsque c’est possible, on peut bien sûr également emmener les élèves au théâtre voir la pièce et pourquoi pas rencontrer les comédiens. De nombreuses troupes spécialisées dans le public scolaire propose de jouer Le médecin malgré lui.

3. Montrer que les procédés comiques sont universels

La richesse des procédés comiques dans le théâtre de Molière

Ce qui est formidable avec le théâtre de Molière, et plus particulièrement avec Le médecin malgré lui, c’est que chaque scène repose sur la quasi totalité des procédés comiques. Les mots, les gestes, le caractère, la situation. Tout est convoqué et savamment mêlé pour déclencher le rire.

Au cours des séances de lecture analytique, il est donc particulièrement aisé de mettre en place des activités qui permettront aux élèves d’appréhender ces procédés.

Interroger le rire

Peu à peu, le rire, voire le fou-rire, se libère en classe. Le texte semble plus léger et prend vie. On s’en amuse et parfois on s’étonne même de trouver certains passages drôles.

Pourquoi rit-on lorsque Sganarelle reçoit des coups de bâton ?

Est-ce qu’on peut rire lorsque l’autre a mal ? Je donne souvent un exemple aux élèves. N’ont-ils jamais ri en voyant un camarade tomber en glissant sur une plaque de verglas ? Oui, mais seulement s’il n’a pas eu mal. Au théâtre, c’est faux. La douleur est simulée, voire exagérée, alors on peut…

Et pourquoi rit-on lorsque Sganarelle se comporte comme un rustre avec Jacqueline la nourrice ?

La catharsis opère. La classe se moque, avec Molière, des défauts humains. Sganarelle, cette caricature de l’homme misogyne, ignorant, fainéant et cupide de surcroît, est décidément bien ridicule ! Et que dire de la naïveté de ce bon vieux Géronte ?

Et qu’il est drôle de lire le texte ensemble en classe !

Surtout lorsque Lucas est dans la scène. Son drôle d’accent et ses fautes de grammaire sont irrésistibles…

Faire le lien avec la modernité

Mais tout ça est-il propre à Molière ?

Nous en discutons ensemble. Nous parlons de leurs humoristes préférés, beaucoup de youtubeurs en fait. Quels procédés utilisent-ils ? Les élèves donnent des exemples.

Certains parlent de leurs propres chaînes. Leurs camarades leur avouent qu’ils ne sont pas très drôles… Je leur conseille alors d’utiliser les procédés comiques que nous avons étudiés pour améliorer leurs vidéos !

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.