Skip to main content

Claude Monet, La Pie, entre 1868 et 1869, huile sur toile, 89 x 130 cm, Musée d’Orsay, Paris

En classe de 6ème, le programme de français recommande l’étude d’un groupement de poèmes qui célèbrent le monde et manifestent la puissance créatrice de la parole poétique. Cette séquence s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « Récits de création ; création poétique ». Le programme lie ainsi l’étude du genre poétique à celle des récits de création, notamment issus de textes religieux, en soulignant l’idée que la parole poétique a un caractère démiurgique, que le poète ne se contente pas de représenter le monde mais qu’il crée un monde en écrivant. Dès lors, l’écriture poétique est présentée comme singulière, se distinguant des autres formes de l’écriture littéraire. L’enseignant, quant à lui, est invité à accompagner ses élèves dans une exploration des caractéristiques de ce langage poétique. Dès lors, pourquoi peut-on considérer que la poésie va au-delà de la mimêsis ? En quoi transcende-t-elle la simple représentation du monde ? Quels moyens spécifiques lui confèrent une puissance créatrice ?

Plan de la séquence 6ème : Voir la poésie du monde

1. La poésie : un langage codifié ?

Si on interroge les élèves sur la singularité de la poésie, on obtiendra certainement la réponse suivante : des textes écrits en vers avec des rimes. Bien sûr, une telle réponse est réductrice et on ne saurait s’en satisfaire. Ne l’écartons cependant pas car il s’agit bien là d’un point de départ intéressant. Tout d’abord parce qu’il permet aux élèves de pouvoir identifier aisément le genre d’une grande partie des poèmes, ensuite parce qu’il y avait tout de même du vrai dans cela jusqu’à ce que la modernité poétique ouvre le champ des possibles en investissant notamment le vers libre, la prose ou encore le calligramme. Et n’apprécie-t-on pas davantage cette émancipation poétique et le génie de ses auteurs lorsqu’on sait de quelles contraintes ils se sont affranchis ?

Lors de la constitution du corpus, il convient donc de ne pas faire l’impasse sur l’étude des règles de la versification. En revanche, ce que nous enseigne la modernité poétique, qu’on pourra notamment faire découvrir aux élèves de 3e de manière pertinente, c’est que l’essence de la poésie ne réside pas dans la forme typographique.

Le langage poétique est différent parce qu’il s’écarte du langage courant, usuel, celui du quotidien. Les mots nomment les choses de la réalité et, en s’organisant les uns avec les autres, forment un ensemble signifiant. D’ailleurs, l’étymologie du mot texte (latin textus : tissu, trame, assemblage) nous renvoie à cette idée. Or, les élèves constatent parfois, non sans une certaine frustration, qu’ils ne comprennent pas un texte poétique, qu’ils n’accèdent pas à son signifiant. Et nul besoin pour cela de leur proposer un poème hermétique ! Le langage poétique est pourtant bien porteur de sens, même si le lettrisme l’a conduit aux limites du signifiant. S’il est singulier, c’est qu’il n’a pas de valeur fonctionnelle, sans pour autant être purement esthétique. Le langage poétique se détourne de la rationalité et de ce qui est communément admis comme étant la réalité pour s’attacher aux sensations et aux émotions. Il s’attarde, accepte la redondance. Il sculpte patiemment un monde pour livrer une perception du réel, c’est-à-dire ce que l’on ne peut éprouver qu’intimement et de manière empirique.

Voilà bien une singularité de ce langage : un texte poétique peut ne pas me parler, ne rien me dire. Et cela s’explique par le fait que sa compréhension repose sur une rencontre entre le poème et le lecteur. Le poète ne se contente pas de raconter ou de décrire les émotions ou sensations, il cherche à les susciter, à ce que son lecteur les ressente. Il faut donc que les mots agissent et que s’opère une résonance.

2. De la musique avant toute chose

Paul Jourdy, Homère chantant ses vers, 1834

Pour émouvoir le lecteur et construire un monde, le poète peut exploiter la dimension musicale du langage poétique. En effet, le lien entre musique et poésie est une évidence lorsqu’on considère l’histoire de ce genre littéraire. Le fait que la lyre soit un symbole de la poésie n’est pas anodin. Cela nous renvoie bien sûr aux aèdes grecs et à la scansion gréco-latine. Dans l’Antiquité, pas de rimes en fin de vers mais un agencement codifié de syllabes courtes ou longues qui rappellent les notes noires ou blanches des partitions musicales. La poésie antique est donc un langage rythmé qui obéit à des contraintes formelles. Les poètes de cette époque utilisaient des types de pieds et de vers codifiés, comme par exemple le fameux hexamètre dactylique.

Or, la poésie française s’inscrit dans cet héritage. Dès l’époque médiévale, des types de poèmes codifiés émergent comme le rondeau ou la ballade, que les poètes romantiques se réapproprieront plus tard. Puis, à la Renaissance, apparaît le sonnet… Les vers et les strophes se structurent selon des schémas réguliers qui impriment un rythme et donc une musicalité. La ponctuation et les césures, grâce aux silences, viennent renforcer cette rythmique.

Par ailleurs, au sein du langage poétique, le son participe à construire le signifiant en adoptant une fonction imitative (allitération et assonance), ludique (paronomase) ou emphatique (rimes).

Dès lors, cette musicalité du poème ne saurait être réduite à une simple dimension esthétique. On invitera donc les élèves à observer la construction de cette musicalité au sein des poèmes et on s’efforcera, autant que possible, de souligner son lien avec le sens du texte. Ainsi, les règles de versification ne seront pas étudiées pour elles-mêmes sans lien avec le travail de lecture et de compréhension.

3. Les figures de style au service de l’imagination

Un grand poète est moins celui qui invente que celui qui découvre.

Jorge Luis BorgesL'Aleph, La Quête d'Averroès, 1947

Giuseppe Arcimboldo, Le Printemps, 1573, huile
sur toile, 76 x 63 cm, Musée du Louvre, Paris

Contrairement au conte ou au récit d’anticipation, le poème ne présente pas un monde qui relève du merveilleux, de l’utopie ou de la dystopie. Le monde poétique est bien le nôtre, ou plutôt une partie du nôtre qui resterait dissimulée si le poète ne l’éclairait pas.

La poésie transcende la réalité en disant l’indicible et en révélant le caché. Pour cela, le langage poétique recourt à l’analogie. Les poèmes regorgent donc de personnifications, de comparaisons et de métaphores. Il s’agit, pour le poète, de révéler des liens insoupçonnés entre les choses. Il crée ainsi des images qui marquent le lecteur plus ou moins profondément soit parce qu’elles provoquent en lui un étonnement, soit parce qu’elles font écho à une perception du réel qu’il a lui-même pu expérimenter sans trouver les mots pour le verbaliser. Alors, le poème parle au lecteur et la rencontre peut avoir lieu.

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.