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N. C. Wyeth, Jim et le trésor, 1911

En classe de 6ème, le programme de français recommande l’étude d’un classique du roman d’aventures qui doit être lu dans son intégralité par les élèves. Cette séquence s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « récits d’aventures ». Voyage, expédition en mer, carte mystérieuse, chasse au trésor, île des caraïbes, pirates à la jambe de bois… L’Île au trésor a tout pour faire rêver les jeunes lecteurs, et les plus grands aussi d’ailleurs. Le cadre de l’intrigue, à lui seul, met l’imagination en éveil. L’auteur a su créer des scènes fortes qui frappent l’esprit, comme celle où Jim, caché dans un tonneau de pommes, espionne des pirates menaçants ou bien encore lorsqu’il affronte en duel un pirate sur le mât du navire… Ce roman est donc idéal pour permettre aux élèves de comprendre comment les récits d’aventures tiennent les lecteurs en haleine. Au cours de cette séquence, on interrogera l’utilisation du suspense et des retournements de situation. On présentera également le schéma actanciel, qui est généralement tout à fait convenu dans les romans d’aventures.

Plan de la séquence 6ème L'île au trésor

1. Le roman d’aventures : une littérature de divertissement

George Roux, Un pas de plus et je vous brûle la cervelle, 1885

Le roman d’aventures se distingue des romans psychologiques et sociologiques car il s’intéresse avant tout à l’action. Il s’ancre dans un cadre réaliste mais n’a pas de souci du détail. Souvent, il s’en libère d’ailleurs en mettant en scène des personnages qui explorent des mondes nouveaux, éloignés ou inconnus. La narration se concentre davantage sur l’enchaînement des péripéties que sur l’approfondissement de la psychologie des personnages.

On peut ainsi considérer que le roman d’aventures tire son origine du roman de chevalerie. Toutefois, lorsque ce genre se développe, au XIXe siècle, il se nourrit surtout de l’attrait des lecteurs pour les récits de voyage des explorateurs. Il exploite lui aussi le goût pour l’exotisme mais s’inscrit dans un cadre fictionnel. Par ailleurs, les progrès scientifiques et techniques réalisés au cours de ce siècle ouvrent le champ des possibles et nourrissent l’imagination des auteurs.

Le roman d’aventures se présente donc comme une littérature de divertissement. Cela en fait un genre littéraire accessible et populaire dans une société en pleine mutation où de plus en plus de gens savent lire. En outre, les journaux soutiennent la diffusion de ces œuvres car la succession de péripéties tient les lecteurs en haleine. La publication en feuilletons d’un récit d’aventures permet donc de les fidéliser.

Les romans d’aventures permettent aux lecteurs de s’évader en mettant en scène des personnages qui sortent de la vie ordinaire pour vivre des expériences insolites. De plus, dans un souci de simplification de la psychologie des personnages, on y trouve des gentils qui affrontent des méchants pour faire triompher le bien. Aussi, dès le XIXe siècle, ces récits, pleins de bons sentiments et de valeurs morales, séduisent les éditeurs de littérature pour la jeunesse qui s’en emparent et pérennisent leur succès.

2. Suspense et retournements de situation

Pour captiver les lecteurs, il ne suffit pas d’enchaîner les péripéties. Il faut aussi les impliquer émotionnellement et intellectuellement. Les auteurs ont donc recours au suspense. Il s’agit de permettre au lecteur de formuler des hypothèses sur la suite de l’histoire, en jouant avec un topos, en utilisant l’implicite ou en effectuant, par le biais du narrateur, des annonces ou des prolepses. Le lecteur veut alors poursuivre sa lecture afin de vérifier ses supputations.

George Roux, Retenant mon haleine et écoutant de mon mieux, 1885

Pour créer le suspense, l’auteur laisse donc le lecteur anticiper un événement, qui reste cependant incertain bien que prévisible. Souvent le suspense est lié à une tension narrative qui s’appuie sur un danger imminent dont le personnage n’a pas nécessairement conscience. Il n’est donc pas rare que les personnages de romans d’aventures soient confrontés à des catastrophes ou à des scènes de violence.

Mais si tout est prévisible, le lecteur risque fort de s’ennuyer. Il faut donc relancer son intérêt en déjouant ses attentes et en le surprenant. Les retournements de situation sont ainsi au cœur de la stratégie narrative des récits d’aventures. Ils sont particulièrement efficaces quand ils interviennent à la fin d’un chapitre. Le lecteur, d’abord tenté d’arrêter sa lecture, ne résiste alors pas à l’envie de poursuivre encore un peu…

Dans les romans d’aventures, l’auteur n’a pas de souci de vraisemblance. Il n’hésite donc pas à faire intervenir le hasard et la chance pour provoquer un retournement de situation. Cela rend donc la trame de l’histoire plus imprévisible.

3. Un schéma actanciel traditionnel

Les romans d’aventures reposent généralement sur un schéma actanciel simple et traditionnel, similaire à celui qu’on retrouve dans les contes.

Un destinateur bouleverse le quotidien du héros en impulsant une quête. Le personnage principal, au cours des péripéties, affronte des opposants et reçoit l’aide des adjuvants. Il accomplit sa mission pour un destinataire, qui peut parfois être lui-même. Les adjuvants et les opposants ne sont pas obligatoirement des personnages. Ils peuvent être des conditions météorologiques ou des objets par exemple…

George Roux, Avec quelle joie ma pauvre mère me vit revenir, 1885

Dans le cas de L’Île au trésor, Billy Bones est le destinateur. Dans le premier chapitre, il s’installe à l’auberge de l’Amiral-Benbow qui est tenue par les parents du jeune Jim Hawkins. Lorsqu’il meurt, Jim, le héros, trouve une carte dans ses affaires. Elle indique l’emplacement d’un trésor. Le personnage principal est alors aidé dans sa quête par le docteur Livesey et le châtelain John Trelawney. Ils embarquent à bord d’un navire pour trouver le trésor. Néanmoins, ils devront affronter le pirate John Silver qui organise une mutinerie et souhaite, lui aussi, s’emparer du trésor. Le héros et ses adjuvants sont donc principalement motivés par leur enrichissement personnel. Toutefois, Jim veut aussi pouvoir aider sa mère qui se retrouve veuve au début du roman. Quant au docteur et au châtelain, ils prévoient de donner la moitié du trésor à l’État et un tiers à un organisme qui s’occupe de personnes démunies.

On le voit, il y a une dimension morale dans les romans d’aventures. De plus, le bien l’emporte toujours sur le mal. Le récit s’achève donc généralement dans un happy end.

4. Jim Hawkins et les pirates

Ainsi, Jim Hawkins incarne le bien. Ses qualités exceptionnelles lui valent la bienveillance des adultes qui l’entourent. Le jeune homme est serviable, loyal, intelligent et intrépide. En outre, le protagoniste incarne une certaine pureté : il pose un regard naïf sur les adultes et le monde qui l’entoure. Toutefois, les épreuves qu’il subit le transforment peu à peu et le poussent vers l’âge adulte. L’acmé de ce processus survient lorsque l’adolescent tue, involontairement certes, le pirate Israël Hands.

Le roman d’aventures est souvent aussi roman de formation. Le héros traverse des épreuves et fait de nouvelles expériences qui modifient sa manière de penser ou d’agir. Ainsi, lors de la situation finale, le personnage principal n’est plus tout à fait le même que dans la situation initiale. Si les jeunes lecteurs peuvent cependant s’identifier facilement à Jim, c’est que le narrateur adulte qui effectue un récit rétrospectif n’intervient en fait que pour annoncer des événements et susciter le suspense. Il sait ensuite s’effacer et il ne reste alors que le jeune héros.

Le succès de ce roman auprès des jeunes tient aussi au cadre insulaire et à l’imaginaire de la piraterie. Le roman se déroule sur une île déserte : il s’agit donc d’un espace vierge où aucune loi ne s’applique. De même, les pirates sont des hors la loi des mers. Ils appartiennent donc au camp des opposants. Mais il est aussi vrai qu’ils sont des hommes libres et affranchis des règles de la société. Or, c’est bien ce que recherche le lecteur : s’évader et oublier les règles et contraintes du quotidien.

N. C. Wyeth, Long John Silver et Hawkins, 1911

Ainsi, la figure de John Silver effraie autant qu’elle fascine le lecteur, tout comme Jim. D’ailleurs, si le héros reste fidèle au sage modèle du docteur, il ne condamne pas totalement John Silver. Jusqu’à la fin du roman, il éprouve à l’égard du pirate des sentiments ambivalents. Il ne parvient pas à le haïr tout à fait et lui témoigne même une certaine affection, quasi filiale. N’oublions pas que le père de Jim meurt au début du roman… John Silver ne serait-il pas lui aussi, à sa manière, un mentor pour Jim ? D’ailleurs, l’opposant est aussi un adjuvant dans certains épisodes, ce qui nourrit les retournements de situation. Par exemple, lorsque Jim est prisonnier dans le fortin, aux mains des pirates, John Silver admire sa bravoure, prend sa défense et le sauve.

Ce personnage est particulièrement intéressant car il est une entorse au souci de simplification de la psychologie des personnages. Sa complexité empêche l’œuvre de tomber dans le pastiche et la caricature du récit d’aventures.

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.