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Portées par le courant de l’Éducation nouvelle, notamment par le mouvement Freinet en France, les méthodes actives ont fait leur place dans la pensée pédagogique contemporaine. Alors qu’elles ont été élaborées en opposition au système d’enseignement traditionnel, elles ont peu à peu été intégrées dans les pratiques scolaires classiques. Qui trouverait révolutionnaire aujourd’hui de faire écrire un journal aux élèves, de les emmener en sortie scolaire, de leur faire pratiquer la recherche documentaire ? La différenciation pédagogique et l’idée de rendre l’élève acteur de ses apprentissages selon un parcours qui lui est propre semblent également ancrées dans le fonctionnement de nos classes, surtout depuis la réforme du collège de 2016. La démarche inductive est aussi devenue la norme. Pourtant, les critiques sont toujours là et le scepticisme s’exprime. Dans de nombreux établissements, on constate, voire dénonce, une baisse du niveau scolaire que certains attribuent à ces mutations pédagogiques du système. Pour contrer le déclin scolaire, il faudrait faire marche arrière et revenir aux méthodes éprouvées des hussards de la République. Rien ne vaudrait un bon vieux cours expositif et magistral. Que faut-il en penser ? Les pédagogies actives et inductives sont-elles devenues ringardes ? L’avenir est-il au cours magistral ?

1. Constructivisme ou instructionnisme ?

La pédagogie active repose sur deux postulats fondamentaux :

  • Tous les élèves sont capables d’apprendre. L’acte d’apprentissage est naturel pour l’être humain.
  • On ne peut pas obliger un élève à apprendre ce qu’il n’a pas envie d’apprendre. L’acte d’apprentissage ne peut s’accomplir que s’il résulte de la volonté de l’apprenant.

Aussi, la pédagogie active a pour but de confronter l’élève à une tâche mobilisatrice, complexe ou non, afin qu’il ait envie de développer un nouveau savoir ou une nouvelle compétence. L’élève essaie en partant de ses pré-acquis, fait des erreurs, se corrige et construit son savoir en réorganisant ses représentations. Il s’agit donc d’une démarche inductive qui repose sur le tâtonnement expérimental. Cette démarche d’apprentissage, qu’on nomme constructivisme, semble validée par les apports des neurosciences au sujet de la plasticité cérébrale. En effet, notre cerveau reconfigure en permanence nos connexions neuronales au gré de nos expériences et de nos découvertes.

Au contraire, les partisans de l’instructionnisme misent sur un apprentissage en trois phases : explication, imitation et répétition. Cette méthode est très utilisée en dehors du cadre scolaire, notamment pour les apprentissages sportifs et artistiques. Elle place l’enseignant au centre du dispositif d’apprentissage dans la mesure où il apparaît comme un modèle à imiter. Les élèves progressent par la répétition d’exercices qui deviennent progressivement de plus en plus difficiles.

  • Constructivisme
  • Démarche inductive
  • Travail coopératif et pédagogie de projet
  • Tâtonnement expérimental
  • Instructionnalisme
  • Démarche déductive
  • Explication, imitation
  • Répétition d’exercices

2. La pédagogie active est chronophage

Pour certains enseignants, la démarche inductive est une perte de temps. Pourquoi ne pas transmettre directement le savoir aux élèves ? Cela permettrait ensuite de les accompagner dans son appropriation. C’est d’ailleurs ce à quoi peut-être réduite la méthode de la classe inversée si elle ne s’appuie pas en classe sur une pédagogie de projet.

Puisqu’on sait où on veut emmener les élèves, les scénarios pédagogiques que nous élaborons ne balisent-ils pas un parcours d’apprentissage ? Le contexte du groupe classe offre-t-il réellement la possibilité aux élèves de dévier ou d’emprunter des chemins de traverse ? L’élève est-il vraiment libre de construire son savoir ou cela n’est-il qu’une illusion créée par des dispositifs pédagogiques artificiels ? Lorsqu’on interroge les élèves, on peut les entendre expliquer qu’ils ont le sentiment que le professeur leur pose une question ouverte alors qu’il attend une réponse précise. Il ne s’agit ensuite pas de réfléchir à la question posée mais de deviner ce que le professeur attend.

C’est vrai… Dans notre système scolaire, l’induction est organisée et plus ou moins savamment balisée par l’enseignant. Tout cela peut sembler bien artificiel. Dans l’idéal, la pédagogie active doit partir des besoins des enfants, car c’est de la nécessité que naît la volonté d’apprendre la plus ferme. Mais il est difficile de fonctionner ainsi dans nos classes car d’une part tous nos élèves n’ont pas les mêmes besoins au même moment et d’autre part nous devons suivre les programmes ! Ce qui dicte notre progression pédagogique est donc en réalité externe à la classe et aux élèves.

Toutefois la méthode inductive présente un intérêt pédagogique majeur : l’élève est mobilisé car on le confronte à une situation-problème ou à un projet. Il doit donc s’interroger, s’étonner, réagir. Cela développe son esprit critique et l’engage dans une démarche réflexive. C’est une compétence qu’il est plus difficile de développer dans le cadre d’un enseignement instructionniste.

3. Les élèves sont perdus s’ils n’ont pas un modèle à suivre

On pourrait penser que l’apprentissage par imitation est rassurant pour les élèves. Ils doivent uniquement observer la méthode de l’enseignant et la reproduire. C’est tout à fait naturel : n’est-ce pas ainsi que nous avons appris à parler ? Les enfants ne copient-ils pas les adultes dans leurs jeux de rôle ?

Pour se convaincre que cette manière d’apprendre n’est pas si naturelle, il suffit en effet de regarder les enfants. Lorsque vous leur montrez comment faire un gâteau, ils ne veulent pas se contenter de vous observer. Ils veulent faire ! Quitte à vous arracher les ingrédients des mains… Ils veulent casser des œufs, verser la farine, tourner la pâte… Et lécher la cuillère, parce que c’est bon !

Et vous, comment avez-vous réussi ce succulent plat qui épate à chaque fois vos amis ? Avez-vous simplement reproduit un tuto trouvé sur le web ? Ou bien avez-vous fait des expériences, développant des techniques pour être plus rapide ou efficace, ajustant l’assaisonnement et la cuisson ?

Elèves travaillant en pédagogie active

La pédagogie active privilégie la coopération et la réalisation de projets.

En fait, le tâtonnement expérimental est au moins aussi important que l’imitation dans l’acte d’apprentissage. D’ailleurs, que sont les babillages si ce n’est un tâtonnement expérimental ? Avant d’imiter les sons des adultes, les bébés expérimentent leur voix.

En classe, dans le cadre d’une pédagogie active, l’adulte ne se positionne pas comme un modèle mais comme un expert. Il est celui que les élèves peuvent consulter lorsqu’ils sont bloqués ou qu’ils ont besoin d’aide. Il est celui à qui l’on montre son travail quand on veut avoir un avis ou savoir si on est sur la bonne voie.

4. On ne peut pas s’appuyer uniquement sur ce que savent les élèves

Une critique communément exprimée à l’encontre de la pédagogie active réside dans l’idée que le rôle de l’enseignant est de transmettre le savoir. Il est celui qui sait… Ou du moins il tente souvent d’ignorer tout ce qu’il ne sait pas…

C’est un positionnement discutable. On peut aussi envisager que l’enseignant ne transmet pas le savoir mais ce qu’il sait. C’est d’ailleurs ainsi que la science progresse. Chaque génération transmet ses découvertes dans l’espoir que la suivante aille plus loin.

Pour de nombreux sceptiques, la pédagogie active laisse les élèves se débrouiller avec ce qu’ils savent et leur demande de deviner le reste… C’est tout de même bien caricatural ! Même dans ces classes, l’enseignant est là et transmet du savoir.

En réalité, la pédagogie active part de ce que sait l’élève, de sa zone de confort, pour le tirer progressivement au-delà en faisant naître chez lui le besoin ou l’envie d’approfondir ses connaissances. L’enseignant ne transmet pas le savoir parce que le programme l’exige mais parce que les élèves l’interrogent. L’art d’enseigner est là : créer les conditions nécessaires à l’émergence du questionnement opportun.

Quand ce questionnement surgit dans la classe, alors l’enseignant apporte son expertise. Il transmet aux élèves les connaissances, il explique les règles, il fournit le vocabulaire adéquat.

5. La pédagogie active est inefficace pour les élèves en difficulté et inutile pour les autres

Par ailleurs, certains enseignants et parents craignent que la pédagogie inductive génère plus de confusion dans la tête des élèves qui éprouvent déjà des difficultés.

Ils auraient du mal à comprendre le fonctionnement même de la démarche et ne comprendraient pas que les activités proposées en classe ne sont que prétextes à la construction du savoir. Leur attention ne se concentrerait donc pas sur l’essentiel.

Lorsqu’on emploie une démarche inductive en classe, il paraît dès lors important de demander aux élèves de verbaliser l’apprentissage au moment de la trace écrite qui clôture la séance. Pour clarifier la démarche on ne demandera pas aux élèves « qu’avons-nous fait ? » mais plutôt « qu’avons-nous appris aujourd’hui ? »

Il semble que les problèmes des élèves en difficulté soient surtout creusés par un enseignement qui laisse trop de place à l’implicite. Mais l’enseignement explicite n’est pas l’apanage de l’instructionnisme ! La pédagogie active inclut d’ailleurs souvent des temps de reformulation et de synthèse.

6. La pédagogie active détourne les élèves du savoir

Encore une fois, il serait caricatural de dire que la pédagogie active se désintéresse de la transmission du savoir. Mais il est vrai que les mouvements de l’Éducation nouvelle ont très tôt interrogé la pertinence du contenu des programmes scolaires.

Les pédagogues de ce courant ont souvent pointé du doigt un problème : les savoirs transmis appartiennent à une culture bourgeoise étrangère aux enfants des classes populaires. Ils ont donc cherché à développer chez leurs élèves des méthodes de travail et des « soft skills » : la curiosité intellectuelle, l’autonomie, la responsabilité, la solidarité, la coopération… Bien avant les récentes réformes, c’est dans ce courant qu’est né une réflexion sur l’enseignement par compétences.

On le voit, la pédagogie active s’inscrivait aussi dans une démarche politique. Elle visait à permettre l’émancipation des enfants des classes populaires. On voulait former des esprits curieux et capables d’apprendre par eux-mêmes.

Ainsi, des pédagogues comme Célestin Freinet n’ont pas hésité à se détourner des méthodes traditionnelles de l’école pour aller vers plus de modernité. Ces enseignants ont notamment fait entrer la technique à l’école, en imprimant des journaux et en tournant des films par exemple.

Mais le savoir a-t-il disparu ? Encore une fois non… Les web radios, les blogs et autres projets pédagogiques ne sont pas des coquilles vides. Ils permettent simplement aux élèves de s’approprier le savoir en utilisant des outils qui leur sont familiers.

Mathieu

Après avoir été professeur de lettres classiques pendant 11 ans, je suis devenu auteur de livres numériques en auto-édition. Par ailleurs, je publie sur ce blog des articles en lien avec l’histoire littéraire et la didactique des lettres.